Néocolonialisme et football font plus que jamais bon ménage en Afrique

Ouattara LamouchiÀ l’analyse des chemins de traverse néocoloniaux que prennent les destinées de nos pays africains, sous la férule de dictateurs impliqués dans des systèmes politiques mafieux destinés à dépouiller l’Afrique, nous négligeons souvent l’aspect sportif. Or l’asservissement des pays africains au profit des intérêts des puissances occidentales et de systèmes mafieux tels que la Françafrique ne se limite pas à la politique, à l’économie, au social ou à la culture. Il frappe aussi de plein fouet le sport, et plus particulièrement le football.

Comme l’a si bien démontré Frantz Fanon dans son célèbre ouvrage Peau noire, Masques blancs[1], la colonisation comme le néocolonialisme agissent d’abord et avant tout sur les cerveaux. De nos jours, le néocolonialisme mental a totalement imprégné nos décideurs politiques et sportifs. Il les a tellement imprégnés qu’à compétence et expérience égales entre un entraîneur noir et un entraîneur blanc, on préférera l’entraîneur blanc. En cas d’échec, on donnera volontiers une nouvelle chance au Blanc que l’on présuppose supérieur au Noir. Ce dernier sera quant à lui l’objet d’une vindicte populaire. Et même dans les consciences des joueurs et des supporters, ce stéréotype entretenu par le système néocolonial actuel pèse encore lourd. Les puissances néocoloniales et leurs vassaux africains connaissent la force de ce stéréotype sur les populations africaines. C’est la raison pour laquelle parfois, à travers les systèmes de coopération au développement, les Occidentaux prétendent connaître mieux les Africains qu’eux-mêmes. Frantz Fanon le mettait en exergue dans Les damnés de la terre : « Le colon et le colonisé sont de vieilles connaissances. Et de fait, le colon a raison quand il dit les connaître. C’est le colon qui a fait et qui continue de faire le colonisé. Le colon tire sa vérité, c’est-à-dire ses biens, du système colonial. »[2]  En analysant la situation actuelle du football africain, on se rend compte que cette phrase n’a pas pris une seule ride ! Le résultat de ce complexe d’infériorité est frappant : sur les seize équipes qualifiées pour la Coupe d’Afrique des Nations qui se jouera à partir du 17 janvier 2015 en Guinée Équatoriale, treize d’entre elles ont des entraîneurs occidentaux. Seuls Florent Ibenge de la République Démocratique du Congo, Ephraim Mashaba de l’Afrique du Sud et Honour Janza de la Zambie seront à la tête des sélections représentant leurs pays[3].  Est-ce à dire que le continent africain ne recèle pas de techniciens et de tacticiens capables de diriger les équipes africaines ? Que nenni ! L’explication est ailleurs.

Au-delà du syndrome mental, le football attire les pratiques néocoloniales car il est aujourd’hui gouverné par l’un des piliers du néocolonialisme : l’argent-roi. Les pratiques mafieuses sont monnaie courante dans le football, et la nomination des entraîneurs à la tête des sélections, et parfois des clubs, n’échappe pas à la règle. Au cœur de ces pratiques mafieuses, on retrouve très souvent les réseaux de la Françafrique et toutes leurs ramifications : franc-maçonnerie, réseaux politiques et économiques, groupes de barbouzes, etc. Les exemples sont légion sur le continent, de ces entraîneurs, directeurs techniques et autres nommés grâce à ces filières mafieuses.

Le Cameroun, champion intercontinental du néocolonialisme footballistique

À quelques exceptions près, la plupart des pays africains connaissent des interventions politiques dans la gestion de leur football. Et on le sait, le politique est l’outil principal qu’utilise le néocolonialisme pour asseoir sa domination. Parmi les pays africains, le Cameroun est l’enfant-modèle de ce système. Il suffit de parcourir le livre du célèbre ancien gardien de but des Lions indomptables, Joseph-Antoine Bell, Vu de ma cage[4], pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Le football camerounais est entièrement gangréné par des maux plus sordides les uns que les autres : corruption massive, népotisme, favoritisme, etc. Des ministres au chef de l’État lui-même, le dictateur Paul Biya, l’interventionnisme politique arbitraire est devenu une norme. Cet interventionnisme infect de personnes qui ne connaissent rien au football se fait souvent au profit d’Occidentaux à travers les filières de la Françafrique quand il s’agit de Français. Celui qui se fait au profit d’Allemands passe le plus souvent par des manœuvres douteuses conclues entre les autorités camerounaises et le sponsor allemand PUMA. Ainsi, comme le rapportait récemment notre confrère camerounais J. Rémi Ngono dans l’émission « Radio Foot Internationale » de la radio française RFI, c’est lors d’une audience chez Paul BIYA qu’un membre des réseaux de la Françafrique suggéra au dictateur camerounais le nom de Paul Le Guen, vantant ses qualités. Objectivement, l’ancien joueur et entraîneur du PSG n’avait pas le profil du poste. Il n’avait au moment de diriger une des plus grandes puissances du football africain, aucune expérience du football africain. En outre, il percevait un salaire de 650000€ bruts annuels[5], soit un salaire mensuel de près de 54000€. Et ceci sans compter les primes de matches. Une somme astronomique pour un pays où plus de 90% de la population tire le diable par la queue. Dans le même temps, Jean-Paul Akono, seul entraîneur africain à avoir mené une équipe africaine à la victoire aux Jeux Olympiques – le Cameroun en 2000 –, a été récemment obligé de faire une grève de la faim et de tomber même dans le coma avant que les autorités de son pays ne daignent lui vers ses nombreux arriérés de salaire en tant que sélectionneur des Lions indomptables[6]. Son successeur actuel, un Allemand, Volker Finke, malgré les piteuses prestations du Cameroun à la coupe du monde 2014, n’a pas eu à souffrir de ce manque de respect flagrant. Malgré ses nombreux succès avec la sélection, Jean-Paul Akono n’a jamais bénéficié de la chance et du respect qu’il méritait dans son rôle de sélectionneur. Pourquoi ? On se le demande.

Côte-d’Ivoire : Sabri Lamouchi a-t-il bénéficié de la politique de « rattrapage ethnique » prôné par Alassane Ouattara ?

On le sait, Alassane Outattara est arrivé au palais présidentiel d’Abidjan avec armes et bagages transportés par les blindés français. Le néocolonialisme n’aimant pas les chefs d’État qui lui tiennent tête, son agent principal de l’époque en Côte-d’Ivoire, Nicolas Sarkozy, s’est chargé d’envoyer Laurent Gbagbo en prison à La Haye et d’installer son poulain. Ce dernier, depuis son arrivée, a entamé une sorte de chasse aux sorcières déguisée. Pour écarter ceux qui sont soupçonnés d’être proches de Laurent Gbagbo et de son parti, le Front Populaire Ivoirien, Alassane Ouattara a créé de toutes pièces le concept de « rattrapage ethnique ». L’objectif selon lui étant de rattraper les soi-disant discriminations subies par les populations du nord. Curieuse conception pour un chef d’État qui souhaite être le Président de tous les Ivoiriens et les réconcilier. Le football n’a pas échappé à cette chasse aux sorcières. En effet, la question reste encore aujourd’hui posée de savoir pourquoi François Zahoui qui a mené la sélection ivoirienne en finale de la Coupe d’Afrique des Nations en 2012 a été démis de ses fonctions. Sa nomination du temps de l’ancien président de la Fédération Ivoirienne de Football, Jacques Anouma, qui fut lui-même Directeur financier de la Présidence de la République sous Laurent Gbagbo, lui ont sûrement valu des inimitiés chez les « vainqueurs » de la guerre de 2011. Inimitiés qui ont entraîné son limogeage. Son remplaçant a été celui des réseaux népotistes propres au système néocolonial. Objectivement, rien ne prédisposait Sabri Lamouchi à devenir sélectionneur des Éléphants de Côte-d’Ivoire. Il n’a jamais entraîné en club et n’a jamais entraîné une équipe nationale. Par-dessus le marché, au moment de sa nomination, celui qui fut un talentueux joueur, venait tout juste d’avoir son diplôme d’entraîneur ! Comment s’est-il retrouvé avec un tel pédigrée à la tête d’une équipe comme la Côte-d’Ivoire qui a en son sein des joueurs aussi expérimentés que Drogba, les frères Touré, ou encore Salomon Kalou ? La réponse est à chercher dans les liens qui l’unissent à l’épouse d’Alassane Ouattara, Dominique Nouvian. En effet, Lamouchi a épousé la nièce de la première dame. Un statut de beau-frère qui l’a amené sans aucune expérience à la tête de la sélection ivoirienne. Et comme dans tout bon deal néocolonial, le fric a coulé à flots. Son service inexpérimenté lui rapportait la somme mirobolante de 60000€ mensuels[7], soit quinze fois le salaire de François Zahoui qui percevait 4500€ par mois.  Un salaire de nabab pour des résultats complètement désastreux – un quart de finale à la CAN 2013 et une élimination au premier tour de la coupe de la coupe du monde -, et les supporters ivoiriens n’ont eu que leurs yeux pour pleurer.

Au travers de ces deux exemples qui ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des malversations orchestrées par les réseaux divers et variés du système néocolonial qui sévit en Afrique, on se rend compte du travail gigantesque qui reste à faire. Un travail de déconstruction mentale chez tous les acteurs du football africain, mais également un travail de lutte politique pour combattre ces régimes politiques à la solde du néocolonialisme. Car ne nous y trompons pas, le visage corrompu et désorganisé qu’offre le monde du football dans plusieurs pays – Cameroun, Côte-d’Ivoire, Togo, Nigeria, RDC, etc. – n’est que le reflet de la gestion politique qui y est orchestrée.

À la dernière Coupe d’Afrique des Nations qui s’est déroulée en 2013 en Afrique du sud, c’est un Africain, Stephen Keshi qui a donné une leçon à tous les entraineurs occidentaux en allant chercher le trophée pour le Nigeria. Cette victoire a montré aux Africains qu’un des leurs avait toutes les capacités de rivaliser, voire de surpasser ses collègues blancs. Gageons que cette CAN 2015 puisse une nouvelle fois en faire la démonstration, et contribuer à changer les mentalités dans la perspective de la lutte contre le néocolonialisme.

[1] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, Paris, Seuil, 1952

[2] Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, François Maspéro, 1961, p. 40

[3] http://www.camer-sport.be

[4] Joseph Antoine BELL, Vu de ma cage. Mon long voyage de footballeur, Yaoundé, Les Éditions du Schabel, 2011.

[5] « Les salaires des 32 sélectionneurs du Mondial 2010 », http://www.sportune.fr/sport-business/les-salaires-des-32-selectionneurs-du-mondial-2010-2443

[6] « Cameroun : Akono perçoit (enfin) ses arriérés de salaire », http://www.afrik.com/cameroun-akono-percoit-enfin-ses-arrieres-de-salaire

[7] «Côte d’Ivoire : Lamouchi le ”mal aimé” dévoile son salaire, 40 millions de FCFA par mois », http://koaci.com/cote-d%E2%80%99ivoire-lamouchi-aime-devoile-salaire-millions-fcfa-mois-87679.html