En Europe, le sans-papiers, présumé socialement criminel, – illégal, voleur d’emploi, facteur aggravant du trou de la sécurité sociale – est affublé depuis quelques années d’un titre aussi peu enviable que les autres. Il est désormais considéré comme le plus grand « arnaqueur sentimental » du moment, brisant à tout-va les cœurs, pour régulariser sa situation. Sujet à sensations, une partie du monde politique belge s’en est discrètement emparé au point de penser à rédiger une loi à ce propos. Ainsi donc, le législateur veut désormais devenir un agent matrimonial qui sonde les cœurs afin d’y déceler les arnaques de papiers. Parmi ces sans-papiers, figurent des milliers d’Africains, présumés coupables de mariage gris avant même qu’ils n’aient pu enfiler la bague au doigt de leur potentielle victime.
Le mariage gris a été pour la première fois officiellement défini par un ministre de la République française. Sous Nicolas Sarkozy, champion de l’identité nationale, son fidèle serviteur Éric Besson a défini ces mariages comme « escroqueries sentimentales à but migratoire ». Comme le rappelle Ken Ndiaye dans la préface du livre, le ministre lui-même a été ensuite pris dans une polémique concernant sa propre union avec une jeune fille d’origine tunisienne. Une union qualifiée par certains de « grise » en raison de l’écart d’âge entre les deux mariés,… 30 ans ! Ce débat importé en Belgique a donné lieu à des mobilisations associatives qui ont collé au sans-papier l’image de l’arnaqueur sentimental congénital. Derrière ces mobilisations associatives, s’est dessinée un soutien, ou plutôt une tentative d’instrumentalisation venant de la droite de l’échiquier politique
Ce phénomène de société, Kalvin SOIRESSE NJALL s’en est emparé pour nous livrer dans ce recueil de Nouvelles six histoires passionnantes. Des histoires qui mènent le lecteur de Lomé 2, l’ancienne résidence du président de la république togolaise, aux commissariats de police bruxellois.
L’auteur aime questionner la société dans laquelle il vit. Il aime lui présenter un miroir afin qu’elle y découvre l’évolution de son propre visage. Pour réaliser cet objectif, il recherche des outils dont les sujets polémiques qui lui permettent de provoquer ou de relancer le débat. Il l’avait déjà très bien réalisé en 2011 avec son sulfureux roman Les Bureaux Paternels[1] qui n’a pas manqué de relancer le débat sur la polygamie et les relations hommes-femmes. Cette fois-ci, il s’attaque à la question de l’immigration en sortant des sentiers battus. Il n’évoque pas l’histoire si souvent racontée de ces barques qui traversent l’atlantique au mépris de tous les dangers, ou de ces traversées mortelles du désert. Il nous fait entrer de plain-pied dans la vie de l’immigré, et particulièrement du sans-papiers au cœur des villes européennes. Sa quête d’identité, de survie, ses problèmes conjugaux, d’argent, de cœur, etc. y sont racontés avec une plume bien aiguisée Et c’est ce qui fait son originalité. Les élites militaro-politiques africaines qui sont au début de la chaîne des malheurs du sans-papiers ne sont pas épargnées.
Avec cet auteur de talent, les Éditions du Mandé ouvrent ainsi d’une manière marquante leur collection consacrée aux Nouvelles, « la Collection des Courtes Histoires ».
Un livre dont le politiquement incorrect est la marque de fabrique, et qui est à savourer sans aucune modération.
Une présentation officielle de l’ouvrage est prévue dans le courant de l’année prochaine sur le continent africain, au Mali et au Togo notamment.
Pour plus de précisions : www.editionsmande.com
Yves KODJO LODONOU
Rédacteur en chef de l’émission africaine « Sous l’Arbre À Palabre »
Radio Campus Bruxelles