La démarche est hésitante voire pénible, le visage empli de peine et de douleur. Il respire difficilement, son visage est livide. L’homme qui entre dans ce parloir du centre fermé de Steenokkerzeel semble perdu. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Face à mes collègues député.e.s, Gladys Kazadi (Les Engagés) et Petya Obolensky (PTB) et moi, il parle doucement. Ses mots expriment toute sa peine, mais aussi sa colère contenue. Lukas Wofau, 66 ans, originaire du Cameroun est un homme d’affaires qui vient régulièrement en Belgique depuis plusieurs années. Une partie de sa famille dont certains de ses enfants vivent en Europe. Il dispose d’un passeport muni d’un visa Schengen dont la validité court encore sur 3 années. Depuis une dizaine jours, cet homme est arbitrairement détenu dans ce Centre. Jeudi 10 novembre, il est environ 11h30 et nous faisons face au fonctionnement parfois inhumain du système d’accueil des étrangers.
Durant ce mois d’octobre, Monsieur Wofau revient en Belgique accompagné par son épouse pour deux raisons. D’une part, il doit subir deux opérations en urgence à l’oeil et au nez. D’autre part, il doit se rendre à la foire de Düsseldorf en Allemagne pour ses activités liées aux recherches visant à rendre plus écologiques les outils d’emballage. Monsieur Wofau collabore régulièrement avec l’Institut Belge d’Emballage. Il se rend à la foire de Düsseldorf sans aucun souci. Il se fait ensuite opérer à l’hôpital Molière où il dépense près de 2000€. L’opération n’est pas un succès. Il est envoyé chez un autre spécialiste à l’hôpital Saint-PIerre. Après moult péripéties, il finit par se faire opérer avec succès. Reste le suivi d’opération et la deuxième opération qui elle, devra concerner le nez. Un nouveau rendez-vous est fixé. En attendant la date de rendez-vous, il décide de se rendre avec son épouse en pélerinage à Medugorje en Bosnie-Herzégovine. Monsieur Wofau est très croyant. C’est à son retour que les choses se gâtent. À l’aéroport, l’agent des douanes le trouve suspect. Il l’informe que son visa est suspendu parce qu’il ne dispose plus des ressources financières suffisantes pour être en Belgique. Monsieur Wofau est estomaqué par ce reproche complètement infondé. Il sort toutes ses cartes et relevés bancaires de France et du Cameroun. Une fois toutes les preuves apportées, l’agent des douanes lui avoue qu’il ne sait pas pourquoi l’Office des Étrangers lui demande quand même de le maintenir en détention. Il est envoyé en centre fermé sans aucune autre explication. Les médecins de M. Wofau sont très inquiets pour sa santé et écrivent à l’administration du centre fermé pour l’alerter sur le danger qu’il court. Au centre fermé, l’administration est très inquiète par rapport à la santé de M. Wofau et le fait suivre par des médecins. Malgré toutes ces alertes, l’Office des Étrangers, de manière incompréhensible décide de le maintenir en détention au mépris de du respect le plus élémentaire de la dignité humaine.
Après notre visite, nous alertons des journalistes et nous voulons tout mettre en oeuvre pour mettre fin à cette injustice. Nous parlons à ses avocats qui ont engagé des procédures en urgence devant le juge des référés et la chambre du conseil. Des décisions vont tomber. Mais on tombe dans un long week-end, celui de l’armistice. Vers 16h15, mon téléphone sonne. À l’autre bout du fil, c’est Monsieur Wofau qui parle d’une voix tremblotante : “ils me font peur. La médecin qui me suit me dit que je suis devenu célèbre et que je dois arrêter de parler à des gens à l’extérieur dont mes médecins. Elle m’a dit que ce sont eux qui commandent et que c’est à eux de décider du jour où j’irai me faire soigner même si mes médecins fixent une date. Elle me dit en plus d’aller me brosser les dents parce que c’est comme ça que les maladies commencent chez des gens comme lui pour aller jusqu’à l’anus…” Je suis choqué par ces propos racistes et scandaleux. J’en tremble d’indignation. Le lendemain 11 novembre vers midi, nous apprenons la libération de Monsieur Wofau. Plus tard au téléphone, il me confiera qu’une fois à l’aéroport où il devait récupếrer son passeport confisqué, on l’a fait attendre toute la soirée et toute la nuit. Il a dû dormir sur une chaise. Ce n’est qu’à 5h du matin qu’on est venu lui rendre son passeport. Malgré son malheur, Lukas Wofau a été libéré. Habib Yedoh, étudiant ivoirien en transit vers la France détenu en même temps n’a quant à lui pas eu de chance. Fatigué, épuisé mentalement, il a fini par être renvoyé par un vol en Côte-d’Ivoire
La situation de personnes interpellées sur des bases légales contestables et injustifiées par la police de l’aéroport sur instruction de l’Office des Étrangers interpelle depuis plusieurs mois et années. De nombreuses personnes étrangères, souvent des pays du Sud, arrivant en Belgique ou transitant par notre pays font parfois face à ce que nous pouvons considérer comme des arrestations et détentions arbitraires au Centre Caricole de Steenokerzele. Les cas récemment médiatisés des étudiants congolais Junior Masudi Wasso, ivoirien Yves Herman Yao Kouakou ou du philosophe sénégalais Omar Mboup illustrent parfaitement cette situation. Les conditions d’arrestations arbitraires, les détentions et les traitements inhumains et dégradants doivent s’arrêter. L’Office des Étrangers et la police aéroportuaire doivent absolument changer leurs méthodes. Tous les partis démocratiques doivent réclamer un changement des procédures et une enquête approfondie sur ces méthodes.
Merci au Collectif DENIF et plus particulièrement à son dirigeant Yves Lodonou de nous avoir alertés sur ces deux cas. Le combat continue.