Avant toute chose, il est important pour la compréhension du lecteur que l’auteur d’un article sur un sujet comme la BD de « Tintin au Congo » prenne une position claire et nette. Il faut le dire tout de suite, en tant que personne aux origines africaines, je ne suis pas pour une interdiction pure et simple de l’album mais je milite pour plus de pédagogie. Je suis notamment du même avis que le MRAP, organisation sœur du MRAX en France[1]. Il est plus qu’urgent d’insérer dans cet album une notice sous la forme d’un AVIS AUX LECTEURS pour expliquer le contexte dans lequel l’auteur a écrit son ouvrage, ses explications ainsi que ses regrets. Dans cette notice devrait aussi figurer une condamnation claire du racisme qui a pour fondement la supériorité d’une composante ayant une couleur de peau différente sur une autre. Dans le reste de cet article, je m’évertuerai à donner les raisons de ma prise de position.
La nécessité de pédagogie
Pourquoi l’insertion d’une notice explicative condamnant le racisme dans tous les albums de Tintin au Congo est-elle une nécessité ? Plusieurs raisons impérieuses de pédagogie le justifient. Je crois à mon humble avis que les tintinophiles mais aussi les Belges qui protestent ne doivent pas complètement se braquer en raison de la peur d’une censure de l’ouvrage.
D’abord, examinons la question côté africain. Je crois que Bienvenu MBUTU MONDONDO, l’étudiant qui a intenté une action judiciaire visant à faire interdire l’album et qui a écrit le 17 février une lettre au Roi[2] en ce sens est le fruit d’un mouvement que les Européens se doivent de prendre au sérieux. Cet étudiant congolais et l’action jusqu’au-boutiste qu’il mène me rappelle l’existence d’un mouvement ou plutôt d’un regard de l’Européen chez les nouvelles générations africaines. Ce regard qui est pour le moment minoritaire se débarrasse à juste titre de tout complexe d’infériorité vis-à-vis du Blanc et veut dans certains cas prendre une certaine revanche. Ce que l’on constate est que cette revanche extrémiste qui ne dit pas son nom ne se fait pas et ne se fera pas aux dépens de l’histoire uniquement mais aussi des héritiers de ceux qui l’ont portée. Et c’est ici que la pédagogie devrait intervenir pour expliquer et couper l’herbe sous le pied de ceux qui veulent se venger en Afrique des « héritiers de colons » comme ils disent. J’ai moi-même reçu dans mon enfance plusieurs albums de Tintin en cadeau lorsque j’étais en Afrique. Sans une certaine prise de distance vis-à-vis de cet album étant devenu grand, l’aigreur vis-à-vis d’une Europe « raciste » m’aurait envahi. Les jeunes Africains qui n’on pas la lucidité d’effectuer cette prise de distance adhèrent à ce mouvement. Il n’est plus question ici de se prononcer ici sur le caractère raciste ou non de l’album. Le précédent article du MRAX INFO sur le sujet et surtout les regrets d’Hergé sont sans ambiguïté. Le scénario et les illustrations sont clairement racistes, la majorité de ceux qui prennent position en attestent.
Mais malheureusement, les regrets et les explications d’Hergé sont peu connus en Afrique et dans les communautés africaines. Il importe donc de vulgariser ces explications liées au contexte de l’époque à travers l’insertion d’une notice préventive dans l’album. Hergé lui-même l’a reconnu, il a suivi un mouvement social raciste d’ensemble et a fait le mouton de panurge comme beaucoup d’Européens de l’époque coloniale. Il n’a pas effectué une réflexion préalable basée sur le postulat d’une égalité entre les différentes composantes humaines quelle que soit leur couleur de peau.
Cette pédagogie ne pansera pas les plaies de la colonisation, loin de là. Mais elle sera aussi bénéfique à la jeunesse européenne car si les stéréotypes entretenus oralement peuvent disparaître avec le temps, ceux qui son immortalisés par écrit continueront leur œuvre destructrice si on ne tente pas de les expliquer afin de démontrer leur nuisance. Cet album tombant dans les mains d’un jeune n’ayant pas de sens critique développé ni de contact avec une société multiculturelle peut faire des dégâts. Elle peut graver dans sa tête l’image du maître et du serviteur avec toujours le Blanc dans le rôle du maître et le Noir dans le rôle du serviteur. Ce livre peut alors sans précaution pédagogique servir d’outil de reproduction du racisme.
Explication au lieu d’interdiction
Justement, pour éviter que cet ouvrage continue à servir d’outil de reproduction des stéréotypes racistes, il ne faut pas l’interdire mais plutôt l’utiliser pour expliquer aux jeunes générations comment les anciennes se sont trompées dans leurs rapports avec d’autres peuples et d’autres cultures. Ne dit-on pas que la meilleure défense c’est l’attaque ? Tous ceux qui ont horreur du racisme doivent se saisir de ce livre ainsi que des erreurs commises par Hergé et l’utiliser comme arme explicative dénonçant les clichés et préjugés racistes. Pour cela, la notice explicative leur serait d’une grande aide dans cette œuvre pédagogique. Par contre, une interdiction serait contre-productive car elle donnerait lieu à une certaine sacralisation du livre. On se le procurerait sous le manteau et des œuvres piratées circuleraient en abondance balayant ainsi tout l’effet recherché.
SOIRESSE NJALL KALVIN
[1] Le MRAP avait envoyé en ce sens une lettre aux Editions Casterman. Cette lettre a été reproduite dans l’article de l’ancien directeur du MRAX Didier DE LAVELEYE sur le sujet dans le MRAX INFO d’Octobre 2007
[2] Bienvenu MBUTU MONDODO a écrit une lettre au Roi dans laquelle il indique implicitement au Souverain que la vision que donne cet album pourrait créer des « malentendus » graves lors de sa visite le 30 juin prochain au Congo. Lettre publiée sur le site www.actuabd.com