Passé colonial : des excuses ? Oh mon Dieu, mais pour quoi faire ?!

  • “Décolonisation ? Mais vous parlez de quoi ? Décoloniser, on l’a fait en 1960, c’est fini ça”
  • “Vous les gens de la diaspora africaine et congolaise, vous êtes des radicaux. Sur le continent, les gens ne demandent qu’à manger et à boire. Ils sont loin de vos histoires de décolonisation”
  • “Les Congolais sont nostalgiques de la colonisation. Ils demandent même le retour des statues des pionniers de la colonisation. Quand le roi est allé au Congo – Albert II en 2010 – ils l’ont accueilli comme comme un bon papa”
  • “Pourquoi parler de décolonisation en Belgique ? Vous les Noirs, vous êtes plutôt calmes. Il y a de la gentillesse chez vous. Généralement, on n’a pas de problèmes avec vous. On vous voit de plus en plus sur les listes électorales, c’est bien”
  • “Repentance ? Jamais ! Des excuses ? Jamais ! Il faut sortir de la repentance. Il faut laisser le passé derrière soi et avancer. Ça ne sert à rien de revenir sans cesse sur le passé
  • “On a fait fait beaucoup de bonnes choses au Congo. Regardez l’état dans lequel nous avons laissé ce pays et regardez l’état dans lequel il est actuellement.”
  • “Une commission d’enquête sur le passé colonial ? C’est hors de question ! mais vous n’y pensez pas ? Il y a plus urgent. Et puis, personne n’est demandeur”

La peur, la trouille, la frousse chez les conservateurs au parlement fédéral

Et puis vinrent les 6 et 7 juin 2020. Une journée de peur, de trouille, de frousse pour certains. Et puis arrivèrent les manifestations Place Poelart à Bruxelles. 15000 personnes en période pandémie. La police bloque les issues aux métros. Trop de monde. Du monde, encore du monde qui afflue. On n’a jamais vu ça. De la colère, de la détermination et de l’espoir. Liège, plus de 1000 manifestants aux Guillemins. Anvers, Place Verte, près de 1000 personnes. De la colère, de la détermination et de l’espoir. Des jeunes, des gamins de tous les quartiers pauvres, de toutes origines qui n’ont parfois jamais mis les pieds dans une manif. Dans les milieux d’extrême-droite ? La rage. Dans les milieux conservateurs ? La peur, la trouille, la frousse. On n’a jamais vu ça. Chez les conservateurs à la Chambre ? La peur, la trouille, la frousse. On n’a jamais vu ça. Où vont-ils s’arrêter ? Vite, il faut réagir. Il a fallu seulement quelques jours pour que le président de la Chambre de l’époque, Patrick Dewael (Open-Vld) tweete : “commission vérité et réconciliation”.

Voilà planté le décor de l’époque chez les conservateurs. Les premières phrases citées datent de 2010 et de 2011. Je les ai entendues dans différentes circonstances de la bouche d’hommes politiques conservateurs. Des hommes qui font partie de formations politiques qui refusent aujourd’hui que le gouvernement reconnaisse sa responsabilité et formule des excuses à l’issue des travaux de la commission spéciale sur le passé colonial de la Belgique. Et pourtant, les conclusions des rapports des expertes et experts étaient clairs et accablants : le régime colonial était bien un système d’exploitation basé sur la violence structurelle, le pillage systématique, l’humiliation, la déstructuration de systèmes politiques, sociaux, juridiques, religieux, etc. Comment des soi-disant universalistes peuvent-ils refuser des excuses après un tel résultat scientifique ?

Rendons à César ce qui est à César. Certains font comme s’ils avaient inventé l’eau chaude. La demande de la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur le passé colonial de la Belgique date de 2012 sur demande de Zoé Genot à l’époque députée fédérale Écolo, aujourd’hui députée régionale bruxelloise. À part Groen, quasiment aucun parti ne soutient à l’époque. Dossier repris et demande à nouveau déposée ensuite par son collègue Benoît Hellings en 2017. Refus catégorique des partis conservateurs (MR – Open-Vld – CD&V – N-VA). Après modification du texte, soutien du PS et du PTB. Je suis bien placé pour le savoir puisque à l’époque, Coordinateur du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations, j’ai fait du lobbying politique sur le sujet et eu des séances de travail d’abord avec Zoé en 2012, puis avec Écolo, le PS et le PTB en 2017. Il n’est donc pas étonnant que les mêmes partis s’opposent aujourd’hui aux excuses. Il y a une continuité historique dans leur incapacité à faire face à l’histoire. Et ce n’est pas étonnant non plus que ce soient Écolo et Zakia Katthabi qui, de manière courageuse, aient mis la décolonisation à la table des négociations pour la formation des gouvernements bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles dès 2019.

Avec la trouille et les caméras, ils voulaient demander pardon. La trouille passée, ils refusent les excuses

Les partis conservateurs n’ont pas toujours eu cette attitude. En 2020, après la mort de George Floyd, lors des manifestations de Black Lives Matter, après l’annonce de Patrick Dewael, les caméras sont nombreuses. Elles viennent du monde entier. Les attaques contre des symboles dans l’espace public se multiplient. La colère de la jeunesse gronde. Que va-t-il se passer ? La crainte, la peur s’installe. Très vite, les partis s’expriment, y compris les conservateurs. Et que disaient-ils ? Quelques extraits rapportés par la VRT en 2020 https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2020/06/12/une-commission-verite-et-reconciliation-et-des-excuses-sur-le/ :

Joachim Coens, président du CD&V ” estimait qu’il est temps que le gouvernement fédéral ou la famille royale belge se réconcilie avec le passé colonial du pays et présente des excuses au peuple congolais.”

Bart De Wever, président de la N-VA : “Une demande de pardon historique pour les atrocités serait nécessaire “parce qu’énormément de gens ont été assassinés pour de l’argent. Il faut pouvoir oser exprimer un jugement collectif.

Open-Vld : “la Belgique doit regarder son passé droit dans les yeux, y compris les pages noires de son histoire comme les exactions commises au Congo”. Les libéraux flamands estiment qu’une enquête approfondie, un dialogue et un débat doivent être menés à ce sujet, “dans notre société et avec les Congolais”. “Il faudra ensuite tirer des conclusions, par exemple sur le rôle de l’enseignement et des musées, sur la place des statues dans notre société, mais aussi sur une éventuelle demande de pardon aux Congolais.

Aujourd’hui ces partis, par pure hypocrisie et lâcheté, retournent leurs vestes. Idem pour le Mouvement Réformateur (MR) qui, le 13 octobre dernier, avait validé au sein de la majorité Vivaldi au gouvernement fédéral le principe de présenter des excuses. Ils affirment aujourd’hui leurs vraies positions. Ils le font parce que la pression n’est plus présente, parce que la peur a disparu.

Pourquoi les excuses sont fondamentales

L’histoire coloniale et ses conséquences ont des répercussions négatives concrètes dans la vie des gens aujourd’hui : racisme, xénophobie, violences physiques, morts, plafond de verre, discriminations, stéréotypes, préjugés et représentations négatives de toutes sortes. Et elles en auront dans la vie de nos enfants demain. Nous devons donc arrêter de penser aux solutions à l’échelle d’une vie humaine. Les excuses, c’est un acte politique et symbolique très important qui va marquer la conscience collective. Cet acte est important en termes de prise de conscience pour l’avenir des enfants. C’est un acte important pour les relations entre la Belgique et l’Afrique, pas seulement aujourd’hui, pas seulement dans 10 ans, mais dans 50 ans, 100 ans… Et enfin, c’est un message aux générations futures : “PLUS JAMAIS ÇA”. Plus jamais de conquête coloniale, plus jamais d’asservissement et d’exploitation d’autres peuples, plus jamais de destruction d’autres États. Nous passons notre temps à taper sur Poutine à juste titre parce qu’il a violé les frontières d’un autre pays et attaqué son peuple. Mais nous sommes incapables de laisser à la postérité un message visant à interdire aux générations actuelles et futures de la Belgique un tel comportement.

La lutte doit continuer en 2023. Les faux arguments doivent être déconstruits un à un. La mobilisation doit être relancée. Car comme le disait Patrice Lumumba : “Sans la lutte, vous n’obtiendrez rien, ni aujourd’hui, ni jamais“. Rendez-vous donc en 2023 pour continuer la lutte. Bonne année.