Lettre ouverte à Madame Joëlle Milquet, Présidente du cdH suite aux propos choquants du Sénateur Delpérée sur des questions de mémoire

C’était en avril 2011. Un fait essentiel pour pouvoir décrypter et comprendre l’émergence de la lutte pour la décolonisation de la société belge. Après les propos de Francis Delpérée, la réaction (Voir le premier billet “Au commencement de l’ouragan décolonial étaient le bon papa et le prof savant”

14.04.11 LETTRE OUVERTE À JOËLLE MILQUET, Présidente du cdH

Bruxelles, 11 avril 2011

Objet : interpellation suite aux prises de position choquantes du Sénateur Francis DELPEREE à propos de questions de mémoire touchant la communauté africaine subsaharienne.

Madame la Présidente,

Vous avez, en votre qualité de Vice-Première ministre, Ministre de l’Emploi et de l’Egalité des chances, initié les Assises de l’Interculturalité qui ont conclu sur un rapport de qualité, un rapport présenté officiellement en novembre dernier en votre présence.

Ce rapport est dans son contenu intéressant pour la composante africaine subsaharienne de la population de notre pays qui, sans aucun doute, s’est largement reconnue dans de nombreuses recommandations, notamment celles concernant l’exigence de mémoire. En effet, pour la première fois sans doute, un travail sérieux sur le mieux-vivre ensemble en Belgique, soutenu par le Gouvernement fédéral, prend en compte des problèmes spécifiques à cette communauté.

L’exigence de mémoire par rapport à l’histoire coloniale et à l’immigration des populations originaires d’Afrique, est une nécessité absolue dans le cadre de la construction d’une société interculturelle belge. Vos positions personnelles, que nous connaissons à travers vos discours sur ces questions, ne s’en démarquent d’ailleurs pas. La colonisation a, on le sait, créé et entretenu des préjugés racistes sur « le Noir colonisé » ; des préjugés qui se perpétuent aujourd’hui dans notre société, et constituent, avec le racisme primaire, le socle des discriminations vis-à-vis des Africains et des Belges d’origine africaine. Elle a également entretenu un véritable paternalisme par lequel ces personnes sont considérées comme de « grands enfants » à éduquer, car étant pour certains « naturellement » inférieures à des personnes issues d’autres cultures. Les membres du Comité de Pilotage des Assises de l’Interculturalité n’ont donc pas éludé cette question, et on les en remercie chaleureusement. Dans le constat qu’ils font, ils affirment que « celui qui a le sentiment que son histoire n’est pas reconnue, qu’elle est caricaturée ou même niée, peut se sentir lui-même nié. Quand il s’agit d’un épisode particulièrement douloureux de cette histoire, cela peut exercer une influence négative sur le développement d’une identité positive et consciente d’elle-même. »[1] En réponse à ce constat, le Comité de Pilotage des Assises recommande d’inscrire cette reconnaissance de façon visible notamment dans la dénomination des lieux et espaces publics, et d’écarter les dénominations qui blessent[2]. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Plusieurs campagnes visant à débaptiser ou à rebaptiser les rues avaient d’ailleurs été déjà initiées par divers mouvements associatifs.

Le vendredi 25 mars 2011, vous étiez invitée, comme d’autres politiques de divers partis dont le Sénateur Francis DELPEREE, à vous prononcer sur ce rapport durant une conférence-débat organisée par différents acteurs, dans le cadre de la Semaine d’Actions Contre le Racisme organisée par le MRAX. A la tribune de cette conférence-débat, le Sénateur Delpérée prononça avant votre arrivée des paroles qui nous étonnèrent, nous choquèrent et nous glacèrent le sang. En effet, accusant ledit rapport d’opérer une « mémoire sélective » en ce qui concerne la dénomination des lieux et des espaces publics, il affirma ceci in extenso : « il ne faut pas être plus Congolais que les Congolais. Ils veulent remettre sur pied les statues des pionniers de la colonisation et celle du Roi Léopold II. Si on veut débaptiser les rues, on peut remonter alors très loin, à Vercingétorix, ou déboulonner la statue de Godefroid de Bouillon qui ont été de vrais bouchers. » Allant plus loin dans son ironie méprisante, le Sénateur affirma avec un ton paternaliste: « lors de son dernier voyage, le Roi a été accueilli par les Congolais comme un bon papa ! »

Nous sommes étonnés que ce soit un éminent élu d’un parti comme le cdH – un parti qui se déclare ouvertement progressiste, humaniste et voulant une société ouverte – qui tienne des propos aussi paternalistes avec une attitude qui l’est tout autant. Nous pensons que dans une société interculturelle, tous les individus quelle que soit leur origine, sont égaux en dignité et en droit. L’apologie de l’idéologie et l’oppression coloniales, qui affirme la supériorité d’une civilisation sur une autre, doit y être bannie et reléguée au passé. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous taire face à cette démarche que nous méprisons et combattons.

Ce faisant, nous vous interpellons personnellement afin que vous puissiez réagir, et nous rassurer sur la détermination de votre parti à œuvrer contre le paternalisme issu de la colonisation, mais aussi contre l’apologie de l’idéologie coloniale qui renforce les préjugés, source de discriminations vis-à-vis des personnes issues de la composante africaine de Belgique. Nous espérons vous voir vous démarquer de ces propos, et réaffirmer votre attachement à la mise en oeuvre de ces recommandations du rapport qui accordent du respect à la dignité des personnes issues de la composante subsaharienne de notre pays.

Cette lettre ouverte est initiée par des citoyens – d’origine africaine ou non – favorables à une société réellement interculturelle. Nous resterons mobilisés et déterminés en ce qui concerne cette question.

En espérant une réaction de votre part, nous vous prions de croire, Madame la Présidente, dans l’assurance de notre haute considération.

KOITA Mariame

NEDERLANTS Gemma

LODONOU K. Yves

OKEKE NDJADI Vincent

KASSEM OUALI Zakaria

SOIRESSE NJALL KALVIN