Décoloniser la communication des ONG à partir d’outils historiques : une nécessité vitale
« C’est le Blanc qui crée le Nègre », disait Frantz Fanon. Il ne croyait pas si bien dire. En sept mots, l’un des plus grands théoriciens de la psychanalyse coloniale venait de résumer plusieurs siècles d’histoire dont certaines ONG à travers le concept de développement sont les continuateurs. En effet, nous sommes les produits de notre société et de son histoire. Les dirigeants et les travailleurs des ONG n’échappent pas à la règle. Dans le management des campagnes publicitaires qu’ils et elles mènent, l’empreinte de l’histoire est très présente. Hormis le cynisme de certaines directions d’ONG pour maximiser les dons, le fondement des campagnes de communication des ONG en général et des ONG belges en particulier est marqué par un substrat historique. Un substrat dont elles n’ont pas toujours conscience ou qu’elles ne questionnent pas ou pas assez.
L’empreinte de la propagande coloniale
En réfléchissant bien, l’existence même de la notion d’humanitaire ou de développement qui fonde l’action des ONG est à questionner d’un point de vue historique. Depuis plusieurs siècles, dans la conscience collective occidentale, l’Afrique est le continent que l’on doit « aider » ou que l’on doit « développer ». C’est ici que la phrase de Fanon prend tout son sens. C’est de l’Europe et de l’Occident en général que l’on a toujours su ce qui est bon pour le « Nègre sauvage ». C’est de l’Europe que la propagande a voulu l’affranchir de l’esclavage, c’est toujours de l’Europe qu’on a décidé qu’il était bon de le « civiliser » et de l’amener vers la modernité. Enfin, c’est encore de l’Occident que l’on a construit le concept de « développement » sur la base des critères issus du capitalisme économique qui fonde les sociétés européennes. À chaque période de l’histoire correspond son agent. Aux différentes époques correspondent des acteurs différents tels que le philanthrope, le missionnaire et l’humanitaire. Tout.es ont pour mission de sauver l’Afrique, ce continent uniforme à qui on doit appliquer les mêmes recettes pour le voir sortir du pétrin millénaire dans lequel il est plongé.
La Belgique est un des pays occidentaux où la propagande coloniale a été la plus systématique mais aussi la plus paternaliste vis-à-vis des Noir.es, notamment des Congolais.es, Rwandais.es et Burundais.es. Les ONG à travers leurs actions sont impactées par les effets de cette propagande ancrée dans l’inconscient collectif belge. Les missionnaires belges à l’époque coloniale avaient pour but de récolter le plus d’argent possible au sein de la population en faisant valoir leurs états de services auprès des Indigènes dont il fallait sauver l’âme damnée. Les logiques de communication sont-elles différentes ? À peine. Les ONG belges n’évoluant pas en dehors de la sphère sociétale belge, elles sont aussi le produit de ces logiques politiques et institutionnelles à travers lesquelles on définit pour les Africain.es ce qui est bon pour eux. Au sein des familles belges, se sont développées des traditions, celle des missionnaires mais aussi celle des religieuses qui constituaient le paravent de la bonne conscience du capitalisme colonial. Les exemples sont légion pour montrer cette logique capitaliste. Certaines ONG utilisent des sous-traitants pour récolter de l’argent. Ainsi un de mes amis militants au sein du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations nous a rapporté son expérience en tant que volontaire au sein d’une ONG bien connue de la place bruxelloise. Une campagne de communication avec des images choc sur la Syrie avait été mise en place par le sous-traitant engagé par cette ONG. Le but pour les volontaires était de faire campagne sur des sachets qui filtrent l’eau et qui doivent être envoyés en Syrie au profit de la population qui manque d’eau. Au bout de plusieurs jours, cet ami découvre que l’ONG en question n’est pas active en Syrie. Par ailleurs, un débriefing est fait en fin de journée. Si au bout de trois jours, le volontaire n’a pu faire signer 4 donateurs ou donatrices, il ou elle est viré.e.