République centrafricaine ou « françafricaine » ?

RCA

Ainsi donc, l’apprenti-président Michel Djotodia s’en est allé rejoindre le lieu de villégiature préféré des chefs d’État centrafricains exilés, le Bénin, après un jeu de dupes teinté de cynisme dont la machine de la Françafrique en a seule le secret. Ce jeu de dupes a aussi emporté son Premier ministre, Nicolas Tiangaye, homme imposé par l’Élysée qui rêvait de faire durablement son trou et d’imposer sa marque aux plus hauts sommets de l’État centrafricain.

Mais qui dupe-t-on ? Le peuple centrafricain principalement et sûrement !

Une duperie qui dure depuis 1960 et la mort du père de l’indépendance, Barthélémy Boganda, mais aussi l’ensemble des peuples africains qui regardent avec fatalité ce pays en se disant : « c’est quand même pire chez eux ! ». Pire ? Oui, car en Afrique, aucun pays africain n’a autant incarné la Françafrique dans ses excès déshumanisants les plus extraordinaires. Le père de la nation centrafricaine, mort mystérieusement en 1958 suite à son projet de Fédération d’Afrique centrale, la République Centrafricaine est né déliquescent. Le pire de cette déliquescence s’est symboliquement exprimé par l’acceptation par la France d’un caprice fou de l’un de ses agents placés à la tête du pays : Jean-Bédel Bokassa et la réalisation de son rêve d’empereur. Cinq millions d’habitants qui n’ont jamais connu une vie normale : pas d’infrastructures routières, des hôpitaux et des écoles fantomatiques, la très grande majorité du pays ne connaît pas la couleur de l’eau potable, ni celle l’électricité, le taux de mortalité à l’âge de cinq ans est de 220 pour mille et l’espérance de vie est de 44 ans, etc.[1] En bref, un véritable désastre en terme de bilan pour les différents présidents et gouvernements adoubés par la France depuis la pseudo-indépendance acquise en 1960 : David Dacko, Bokassa, André Kolingba, Ange-Félix Patassé, François Bozizé, Michel Djotodia, tous des apprentis-sorciers politiques sans vision politique, mis sur orbite par la France et ses obligés de la région dont l’unique but était de se maintenir au pouvoir. Ce système pourri de l’intérieur et manipulé de l’extérieur a eu pour conséquences principales, la multiplication hors-norme des coups d’État et l’instabilité chronique du pays.

Le soi-disant conflit interreligieux provoqué par le nouveau sous-gendarme français dans la région : Idriss Déby

Ce pays a donc connu le pire des conditions dont un État puisse se contenter : une souveraineté absente dans tous les domaines et détenue par d’autres, des dirigeants incapables, une population à l’agonie, un régionalisme et un ethnisme exacerbés, en bref, « l’histoire de la Centrafrique est un désastre continu » comme l’affirme Odile Tobner, la présidente de l’ONG « Survie »[2]. Cependant, si on croyait avoir connu le pire avec ce pays, on est tombé dans l’horreur absolue ces derniers mois avec l’émergence d’un conflit interreligieux dont l’existence a surpris tous les observateurs. Ce conflit est devenu la poudre jetée aux yeux des naïfs qui croient qu’il fallait absolument sauver la Centrafrique menacée par un génocide entre musulmans et chrétiens. Une menace génocidaire créée de toutes pièces à partir des officines politiques, diplomatiques et médiatiques parisiennes. En effet, dans ce pays où la religion dominante est le christianisme, des conflits armés se sont succédé aussi violents les uns que les autres, mais jamais, on n’avait connu les prémices d’une guerre entre religions. Musulmans et chrétiens jusque-là ne se regardaient pas en chiens de faïence. Mais comment en est-on arrivé là ?

Pour le comprendre, il faut observer de plus près et analyser le rôle glauque que fait jouer le dictateur Idriss Déby à son pays le Tchad dans ce conflit. En effet, le chef d’État tchadien a lui-même été plusieurs fois menacé par des rébellions dans son propre pays. On se souvient encore des rebelles entrés dans Ndjaména la capitale et qui étaient aux portes du palais présidentiel. Ces rébellions qui menaient la vie dure à Déby prospéraient à un moment où ses relations n’étaient pas au beau-fixe avec son voisin soudanais, mais aussi avec la France. Pour consolider son pouvoir, y garantir sa longévité et éviter d’être en guerre permanente, Idriss Déby s’est livré à un jeu diplomatique compliqué, renouant avec le Soudan voisin, et se taillant un costume de leader incontournable de la région capable de garantir les intérêts de la France en Afrique centrale et même au-delà. Comme Blaise Compaoré en Afrique de l’ouest, Idriss Déby s’est petit à petit forgé cette armure d’homme dont la France ne peut plus se passer[3]. Ainsi, ses armées, aguerries par la récurrence de leurs batailles contre les troupes rebelles dans le Sahel, ont été d’un précieux secours pour la France lors de l’opération « Serval ». Cette aide du Tchad, Idriss Déby ne la voyait pas sans contrepartie. On se souvient qu’il réclamât absolument des moyens financiers de la part de la France et des pays de la CEDEAO en vain.

N’ayant pas obtenu de contrepartie par rapport à son intervention au Mali, Idriss Déby la créa lui-même en cherchant à avoir une influence grandissante en Centrafrique, et surtout à avoir accès aux nombreuses ressources de celles-ci avec la complicité silencieuse du mentor français qui voyait sans doute-là un moyen de calmer les frustrations tchadiennes. Pour cela, il doit avoir ses hommes au cœur du pouvoir à Bangui. Cependant, Idriss Déby dans ce jeu, va être confronté à un certain François Bozizé, têtu comme une mule qui a l’outrecuidance de ne pas vouloir céder une once de son pouvoir. Et c’est là que naît la Séléka, dernier avatar de cette histoire françafricaine, une rébellion hétéroclite qui a la particularité d’être composée en majorité de musulmans réfugiés au Tchad où Idriss Déby s’est chargé de leur fournir armes, mercenaires et de les monter à bloc contre le pouvoir « chrétien » de Bangui. Ceux-ci nourris par cette idéologie se sentaient d’ailleurs plus proches de leurs « frères de religion » tchadiens que de leurs concitoyens centrafricains. C’est ainsi que lorsqu’ils commencèrent à marcher sur Bangui, ils eurent en point de mire non pas le pouvoir d’un homme, en l’occurrence Bozizé, mais un pouvoir détenu depuis 1960 par les Chrétiens. On a pu entendre d’ailleurs des interviews de dirigeants militaires de la Séléka qui faisaient de la religion le point focal pour une alternance dans le pays : « les Chrétiens ont dirigé ce pays durant cinquante ans et cela n’a rien donné, ils doivent laisser la place aux Musulmans », entendait-on. Toutefois, le pyromane Déby a été victime d’un retour de flamme de l’incendie qu’il a lui-même créé puisqu’il n’avait pas prévu une telle résistance armée des « anti-balaka », ces milices qu’on dit chrétiennes et qui sont soutenues par François Bozizé. Cette opération montée par Déby s’est malheureusement retournée contre les citoyens musulmans centrafricains et étrangers perçus par le reste de la population comme des agents du Tchad.

La Françafrique n’a jamais été aussi présente que sous la présidence de François Hollande

L’incendie ne pouvant plus être maîtrisé par son auteur, c’est son suzerain, la France, qui, voyant ses intérêts dans le pays menacés, intervient en « sauveur » machiavélique comme il a su le faire au Mali. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense français vint imposer les conditions de la France à Idriss Déby, la démission de Djotodia qui l’avait d’ailleurs déçu, lui qui le croyait capable de garantir son projet d’influence en Centrafrique. En contrepartie, il a obtenu le départ du Premier ministre Nicolas Tiangaye dont le Tchad se méfiait. Ce suzerain, la France, n’est pas du tout mû par une quelconque volonté humaniste de venir au secours du peuple centrafricain. Si tel était le cas, il n’aurait pas été l’instigateur de cette convocation derechef des députés centrafricains à qui on a imposé la démission des deux dirigeants de l’exécutif, mais aussi une feuille de route de la transition complètement pilotée de l’extérieur. Une atteinte grave à la souveraineté populaire des Centrafricains.

Après son élection, François Hollande avait fait comprendre que lui, contrairement à ses prédécesseurs, n’avait pas de réseaux en Afrique. Sur la base de cet argument, il avait entonné la même chanson que Nicolas Sarkozy, la fin d’une France intervenant dans les affaires intérieures des États africains. Pourtant, il imposa du début à la fin ses conditions aux Maliens dans le processus politique visant à retrouver des institutions démocratiques. C’est la même histoire qui se répète en Centrafrique. Ceux qui avaient cru un seul instant que le système mafieux de la Françafrique s’écroulerait avec l’élection d’un président de gauche en sont pour leurs frais. Comme l’a rappelé l’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand, Hubert Védrine, dans son rapport à Pierre Moscovici, actuel ministre de l’économie lors d’un grand forum économique France-Afrique le 4 décembre à Paris, « l’Afrique, sera l’un des pôles majeurs de la mondialisation au 21e siècle. Or la France, qui a tant d’atouts sur ce continent, n’a pas pris la mesure de l’enjeu. Elle y a perdu beaucoup de parts de marché et d’influence. Il est donc vital et urgent de réagir ». L’ancien ministre va même jusqu’à prédire qu’avec une réaction prompte de la France, l’Afrique pourrait devenir son nouvel eldorado au point de lui créer plus de 200 000 emplois dans les cinq prochaines années ![4]

Tout est dit dans cette phrase de cet ancien collaborateur de François Mitterrand qui, rappelons-le pour les naïfs fut le premier président de gauche à virer un ministre – Jean-Pierre Cot – qui avait voulu appliquer son premier programme révolutionnaire vis-à-vis de l’Afrique en 1981 : mettre fin à la Françafrique et à ses réseaux mafieux.

Article publié dans “La Pince”, Périodique d’informations et d’analyses de l’UPC – Sections d’Europe & d’Amérique – N° 001 – Nouvelle série – Janvier – Février 2014

La_Pince_n°1_janv.fevr.2014

Kalvin SOIRESSE NJALL

Journaliste


[1] Vincent Munié, « Agonie silencieuse » de la Centrafrique, Le Monde diplomatique, 29/09/2013

[2] Odile Tobner, « La république françafricaine », http://www.afrique-asie.fr/menu/actualite/6978-la-republique-francafricaine.html

[3] Le nouveau leadership incarné par Idriss Déby en Afrique centrale est très bien expliqué dans une interview du Professeur Jean-Claude Shanda Tome, Après la Centrafrique, « La France a des plans contingents pour le Cameroun », http://afrique-asie.fr/menu/afrique/6981-jean-claude-shanda-tonme-apres-la-centrafrique-la-france-a-des-plans-contingents-pour-le-cameroun.html

[4] Interview d’Hubert Védrine au Nouvel Observateur le 3 décembre 2013, Védrine : “L’Afrique peut devenir le nouvel ‘Eldorado’ de la France”, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20131203.OBS7977/vedrine-l-afrique-peut-devenir-le-nouvel-eldorado-de-la-france.html