Le Mali tient enfin son accord ! lit-on de partout comme si enfin, les problèmes du Mali étaient déjà terminés avec la signature de cet Accord du 18 juin 2013. Un Accord qui, il faut le rappeler n’est que préliminaire, un Accord censé poser les bases du règlement du problème malien. Cependant, en lisant attentivement cet accord, et en l’analysant bien on se rend compte qu’il risque de poser plus de problèmes qu’il n’offre de solutions.
Avant d’examiner le contenu de l’Accord en lui-même, penchons-nous un peu sur les conditions dans lesquelles ces négociations ont été menées, et sur les parties qui y ont été invitées.
Des conditions de négociation pas du tout idéales
Avant que les parties ne se réunissent à Ouagadougou, l’armée malienne qui était à la rue durant de longs mois, s’est comme par hasard requinquée d’un coup pour marcher sur Kidal, ville stratégique contrôlée par rebelles touareg du MNLA (Mouvement National de l’Azawad). Elle a même pu prendre Anefis, dernière ville avant Kidal. Comment a-t-elle pu se réorganiser et s’équiper pour faire en deux jours ce qu’elle n’arrivait pas à accomplir depuis de longs mois auparavant ? Le mystère s’épaissit autour de cette question, mais ce mystère n’est pas si épais que ça à y bien réfléchir. Pour essayer d’y voir plus clair, regardons du côté de la France. Pour protéger ses intérêts et pour les garantir pour le futur, la France est obligée de jouer serré entre les protagonistes. Pendant la guerre contre les terroristes, elle noue une alliance stratégique avec les Touareg du MNLA au nord en excluant le gouvernement malien des opérations, ce qui permet au Touareg de garder leur emprise sur la ville et sa région. Après la guerre et le passage des Français, l’armée malienne se renforce. Il ne faut pas chercher bien loin pour connaître l’origine de ce renforcement. Pour la France, le MNLA était devenu politiquement un allié encombrant, mais un allié qu’il faut garder dans la perspective de l’exploitation des ressources naturelles découvertes dans le nord du pays.
La deuxième remarque concerne les conditions politiques dans lesquelles le gouvernement malien s’est présenté à ces négociations. Il s’y est présenté le couteau sous la gorge ! Et ce couteau, c’est le président français, François Hollande, qui l’a brandi en premier en exigeant que les élections présidentielles se tiennent le 28 juillet, alors que la commission électorale malienne a émis de nombreuses réserves sur la viabilité de ces élections organisées au pas de charge. « Je serai intransigeant là-dessus », avait proclamé le président français. Beaucoup de Maliens s’étaient sentis choqués par cette admonestation venant d’un président étranger. Mais que voulons-nous, nous Africains si nous ne sommes pas capables d’avoir des dirigeants ayant une vision nous permettant de protéger notre souveraineté et de régler nos problèmes nous-mêmes ? Le gouvernement malien s’est donc présenté à ces négociations avec l’obligation de s’entendre avec les Touareg s’il voulait que la volonté de ses parrains français suivis par la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’ouest), l’UE et l’ONU, soit faite. Et quand il arrive que le président malien Dioncounda Traoré lui-même bloque sur certains points, François Hollande l’appelle personnellement pour le convaincre.
Un accord qui donne raison à ceux qui déstabilisent un pays par les armes
L’un des plus gros défauts des négociations ayant mené à cet Accord est la reconnaissance de la spécificité touarègue… ou plutôt de la spécificité des Touareg du MNLA, car faut-il le rappeler, tous les Touareg ne se reconnaissent pas dans le MNLA. Ont été exclus des négociations ayant mené à cet Accord préliminaire, les Arabes avec le MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad), les milices Gandakoye proches du gouvernement, les Peuls, les Songhaï et autres peuples du nord. Cette spécificité accompagnée du statut particulier accordé au MNLA est à déplorer. Cette spécificité est encouragée par certains pays comme la France pour des raisons stratégiques ou encore la Suisse, pays dont les ONG fascinés par les « hommes bleus » propagent une image presque mythique du Touareg pacifique. Les Touareg ne constituent que 10% des populations du nord, et en plus, ils ne se retrouvent pas tous dans le MNLA. Pourtant ce mouvement est le seul à la table des négociations avec un mouvement fictif qu’ils ont créé, le HCUA (Haut Conseil de l’Unité de l’Azawad). S’ils ont pu avoir ce statut privilégié, c’est parce qu’ils ont pu s’emparer des armes issus de la déstabilisation de la Libye pour venir déstabiliser le Mali son tour. Cette exclusivité montre qu’il y a une volonté de faire du MNLA un acteur politique important au grand dam du gouvernement malien. Ce favoritisme en faveur du MNLA est une grande erreur qui se paiera dans l’avenir.
L’article 21 de l’Accord ne donne de la place aux autres communautés du nord qu’après les élections présidentielles. Une façon de leur montrer que les Touareg sont plus importants qu’eux parce qu’ils ont pris les armes…
Cantonnement et pas désarmement immédiat : les germes d’un futur conflit
Si le gouvernement malien voulait à tout prix un désarmement immédiat du MNLA, c’est pour une raison simple : ils ont l’expérience des mouvements rebelles touareg qui ne respectent pas les accords qu’ils ont signés. Et cela fait plus de vingt ans que ça dure ! Afin de garder son influence et sa capacité de nuisance, le MNLA qui s’est procuré les armes de Khadafi dont il était proche, ne voudra jamais désarmer. L’article 6 de l’accord qui parle du cantonnement comme première étape du désarmement ne fait que diversion. Dès que les Touareg du MNLA auront la possibilité de reprendre les armes, ils le feront. La conjoncture ne s’y prête pas pour le moment, voilà pourquoi ils font les agneaux et se prêtent de bonne grâce au jeu des négociations. Ils ne voudront jamais renoncer à l’indépendance de leur État fantoche de « l’Azawad » sans qu’on ne les y force.
« L’Azawad » : une falsification historique avalisée
Il y a quelques mois, lors d’un débat avec des confrères français sur la crise malienne, le journaliste béninois Francis Laloupo fit observer à ses confrères que la presse française ne se grandissait pas à parler de l’Azawad comme le « berceau des Touaregs ». Cette création artificielle surgie des cerveaux touareg ne correspond à aucune réalité historique africaine. Cette fasification historique fondée sur un mythe faiblard construit en toute hâte en 2012, a reçu une légitimité aux termes de cet Accord préliminaire. Cette légitimité reconnue est à mon sens une première étape vers la lente remise en cause de l’unité du Mali. Il s’agit là d’un précédent extrêmement dangereux.
Toutes ces raisons me poussent à croire que cet Accord, loin d’ouvrir la voie vers une solution à la crise malienne, contient en lui les germes d’une nouvelle crise à venir après l’élection présidentielle au plus tôt, ou dans quelques années au plus tard.