Le 22 février dernier, au sein de l’institution culturelle du Pianofabriek à Bruxelles, plusieurs associations et militants se sont réunis pour rendre hommage à un grand homme clairvoyant et combattant de liberté, Malcolm X. Le texte ci-dessous est celui prononcé lors de cet hommage au nom du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations (CMCLD).
Mesdames, Messieurs, Camarades de lutte, Chers ami-e-s,
Je voudrais tout d’abord remercier l’association Bruxelles Panthers et à travers elle Nordine ainsi que nos partenaires de Change Asbl membre de notre Collectif pour m’avoir sollicité aux fins de prendre la parole à cet événement si important pour notre lutte commune.
L’homme que nous honorons aujourd’hui fait partie de ces combattants dont la clairvoyance et l’héritage brillent éternellement. Un héritage qui éclaire de manière éclatante les chemins qui mènent les peuples opprimés vers la liberté. Pas seulement les peuples noirs, mais tous les peuples du monde qui luttent contre le système capitaliste néocolonial qui asservit.
Prendre la parole pour parler d’une génération unique composée d’hommes exceptionnels comme je le fis dernièrement encore pour Frantz Fanon ou Patrice Lumumba est une lourde responsabilité. Prendre la parole sur le terrain comme nous le faisons au CMCLD pour transmettre à la jeunesse les armes mis en place par cette génération pour se libérer, me renvoie à mes propres complexes. Les complexes d’une génération guettée par le danger de l’aliénation, du matérialisme, du détournement de la seule lutte qui vaille la peine d’être menée, celle de la justice, de la liberté et de la dignité de l’être humain. Honorer Malcolm X, Lumumba, Sankara, Moumié, Cabral, Fanon qui tous dans la trentaine menèrent au péril de leur vie des projets hors du commun nous renvoie à la figure une question cinglante et existentielle : notre génération ne s’est-elle pas égoïstement endormie dans les bras empoisonnés du capitalisme matérialiste néocolonial et raciste ? Notre génération ne s’est-elle pas endormie au point de ne penser notre avenir et celui de nos enfants que par ce système ?
À propos de l’éducation, Malcolm X affirmait qu’il est « le passeport pour le futur, car demain appartient à ceux qui s’y préparent aujourd’hui ». J’ai peur que l’écho de cette phrase ne soit plus porteur auprès de plusieurs opprimés. C’est pour cela que nous ne devons jamais cesser de transmettre aux générations futures le virus de la lutte par l’éducation car ces générations mèneront le combat sur les chemins que nous aurons balisé.
L’enfance de Malcolm X indique que par ce que nous sommes, nous influençons la vie de ceux qui prendront notre place. En effet, il avait de qui tenir puisque son père, Earl Little était un partisan du leader charismatique noir Marcus Garvey et membre de l’Association d’Amélioration de la condition des Noirs dans les années 1920 où les Noirs étaient lynchés et où la ségrégation raciale culminait aux États-Unis.
Cette ascendance et son parcours montrent la volonté inébranlable d’un homme de faire triompher la vérité sur le mensonge, la justice sur l’oppression, la fierté, la dignité et l’honneur sur la compromission et l’argent-roi.
Malcolm X fut l’une des intelligences les plus brillantes de son temps car il a très tôt compris avant même ceux qui militaient depuis de longues années le piège que leur tendaient les promoteurs de « l’American Way of Life », ceux qui dirigent les États-Unis depuis leur création, les Blancs, Anglo-Saxons et Protestants connus sous le nom de WASP. Le piège était simple : couper définitivement les liens entre les Noirs d’Amérique et le continent où se trouvent leurs racines, l’Afrique. Il s’agissait d’amener les Noirs à s’inscrire dans le fameux esprit pionnier, individualiste et capitaliste fondé par ces WASP. Un esprit qui a provoqué le génocide des Amérindiens.
L’objectif de ce piège est la perpétuation d’un monde dans lequel une minorité, rassemblée autour de quelques institutions dont le ressort principal est le capitalisme néocolonial et le banditisme politique international utilisé pour asservir les peuples, notamment les peuples noirs africains. Peuples sur lesquels ce système a appliqué les exploitations les plus immondes : l’esclavage mercantile auquel s’est substitué la colonisation qui lui-même est remplacé actuellement par le néocolonialisme. La connexion entre les mouvements d’émancipation noirs d’Amérique et les vrais mouvements politiques panafricains dévoués à la souveraineté du continent, et qui se développaient à une rapidité extrême, représentaient un cauchemar pour les WASP dont le symbole le plus hideux à l’époque fut Edgar Hoover, le directeur du FBI.
Malcolm X s’inscrivait dans cette connexion panafricaine – le Professeur Gomez en parlera mieux que moi – c’est pourquoi comme Marcus Garvey, il a toujours maintenu dans sa lutte un contact filial et militant avec l’Afrique car il a compris dès le début des années 1960 et avec la mort de Lumumba que le système qui avait fondé l’esclavage mercantile était le même qui allait installer la troisième forme d’exploitation des peuples, le néocolonialisme. Les acteurs avaient changé, mais le système restait exactement le même.
Cette prise de conscience est parfaitement illustrée dans l’une de ses phrases restées célèbres : « Tant que nous détestions l’Afrique, nous détestions nous-mêmes. Tant que nous détestions les prétendues caractéristiques africaines, nous détestions notre propre aspect. Et vous m’appelez le prédicateur de la haine. Mais c’est vous qui avez appris au monde à haïr une race toute entière et, maintenant, vous avez l’audace de venir nous reprocher de vous détester pour la simple raison que nous n’aimons pas la corde que vous nous avez mise au cou. »
Malheureusement ce piège qui renfermait le drame de la détestation de soi et de son identifié a fonctionné sur beaucoup de nos frères et sœurs. L’une de nos missions ultimes comme ce fut le cas pour Malcolm est de tout mettre en œuvre pour les en délivrer.
Voilà donc posées les bases de la proximité idéologique et politique entre Malcolm X et Patrice Lumumba. En étudiant la vie des deux personnages, j’ai été surpris de voir comment ils se ressemblaient. Lumumba et Malcolm, tous deux issus de milieux défavorisés, presque happés dans leur jeunesse par le système de l’aliénation créé à dessein – l’un était fier d’être évolué et l’autre faisait tout pour ressembler à un Blanc et se gominait les cheveux -. Tous deux ont réussi le tour de force par leurs propres moyens d’opérer en quelques années une véritable révolution intérieure et mentale et ont réussi à se désaliéner. Une désaliénation qui pour d’autres a pris des dizaines d’années après de multiples échecs. L’un et l’autre ne se sont jamais compromis, se sont accrochés à leurs convictions jusqu’à en payer le prix ultime, la mort.
De leur vivant, comme après leur mort, ils ont été soumis à une campagne de diabolisation destinée à détruire le mythe qu’ils représentaient désormais. Des mythes dont on a essayé d’enfermer les pensées dans le carcan simpliste de la violence. Tous deux étaient des visionnaires et Malcolm X était tout à fait lucide sur cette campagne de diabolisation qui continuerait après son décès quand il affirmait : « Quand je serai mort pour de bon, la presse blanche m’identifiera à la haine, vous verrez. L’homme blanc se servira de moi mort, comme il s’est servi de moi vivant. J’incarne à ses yeux la haine. Un grand mensonge car cela lui permet de nier la vérité que je n’ai fait tendre son propre miroir afin de lui montrer les crimes abominables de sa race contre ma race. »
Mesdames et Messieurs, Camarades de lutte, vous l’avez compris, la pensée de Malcolm X est d’une actualité éclatante comme celle de Lumumba, de Sankara, de Nkrumah et d’autres de sa génération.
Que dirait Malcolm X aujourd’hui à un Noir, président des États-Unis, qui aide Sarkozy à instrumentaliser l’ONU pour aller bombarder la Libye de Khadafi afin de pérenniser un système qui ôta la vie à Lumumba et déstabilisa le Congo jusqu’à nos jours ?
Que dirait Malcolm X aujourd’hui à un Noir, président des États-Unis qui aide Sarkozy à instrumentaliser l’ONU pour aller faire la guerre en Côte-d’Ivoire et procéder à l’enlèvement d’un chef d’État africain, Laurent Gbagbo, en vue d’installer son ami Alassane Ouattara ?
Que dirait Malcolm X aujourd’hui à un Noir, président des États-Unis presque atone face à la recrudescence des assassinats de Noirs et même d’enfants par la police sur tout le territoire américain ?
Ce sont des questions qui me viennent à l’esprit lorsque certains soirs, dans mes introspections face à l’actualité, je repense aux larmes de bonheur versées par certains de mes amis le soir de l’élection de Barack OBAMA ; des larmes marquées du sceau de l’ignorance et de la naïveté.
Mesdames, Messieurs, Camarades de lutte, chers amis, Malcolm était un vrai humaniste, mais un humaniste conscient de la réalité des rapports de force à l’œuvre dans nos sociétés autrefois, mais aussi à l’heure actuelle. En témoigne son point de vue sur la société post-raciale : « Il faut reconnaître disait-il, tout être humain, sans chercher à savoir s’il est Blanc, Noir, Basané, ou Rouge ; lorsque l’on envisage l’humanité comme une seule famille, il ne peut être question d’intégration, ni de mariage interracial. » Pour ceux qui passent leur temps à nous bassiner les oreilles avec l’intégration, voilà à mon sens une réponse adéquate.
Je voudrais, Camarades, chers amis terminer mon propos en nous appelant comme Malcolm X l’a fait toute sa vie à l’engagement, mais pas n’importe quel engagement, un vrai engagement basé sur le renversement des paradigmes politiques, sociaux et culturels qui dominent dans nos sociétés. Si nous voulons changer cette société où l’exploitation des peuples prend jour après jour de l’ampleur, nous devons nous investir dans des cellules et structures qui luttent et nous devons au-delà de nos différences nous allier pour peser un peu plus dans ce combat qui est pour nos enfants et pour nous d’une nécessité existentielle.
Je vous remercie.