Le pouvoir est délicieux. Il est même succulent, plus délicieux que le mirage incertain d’une séparation de la Belgique. On ne cesse d’en redemander : voiture de fonction vous donnant l’impression de surfer au-dessus de la vague portée par les citoyens, bureaux étincelants, la flatterie des palais, salaires de ministres, le sommet de la hiérarchie sociale, des réunions de partis enfin décrispées et joyeuses, policiers au garde-à-vous, petits fours, champagne (à boire modérément, Bart y veille…), etc. Et puis, et puis, on est surtout l’ami des grands patrons, des multinationales qui ne cessent de vous dire combien ils comptent sur vous…
Comment résister à toutes ces tentations ? L’idéal s’évapore quand on aime l’argent et quand on aime le pouvoir. L’amour de l’argent et du pouvoir, les deux principaux ingrédients du capitalisme. On a beau avoir un idéal réputé solide, le capitalisme vous le fait avaler. La N-VA étant un parti génétiquement capitaliste, il n’est pas étonnant qu’il ait sacrifié l’idéal indépendantiste sur l’autel du pouvoir capitaliste qu’un certain establishment nomme désormais pudiquement « ultra-libéral ». Un vernis posé pour ne pas réveiller la populace qui a presque rendu les armes, mais qui ne les a pas entièrement déposées.
Le départ fracassant des députés Hendrik Vuye et Veerle Wouters indique très bien ce que certains prédisaient il y a un peu plus de deux ans : la N-VA au contact du pouvoir ne pourra s’empêcher de rentrer dans le rang. Il y a peu, le fameux secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Théo Francken, affirmait : « Je suis fier du soutien des francophones ». Qui l’eût cru ?! Si on m’avait dit ça il y a deux ans… Celui qui, avant son entrée en fonction, se voyait expulser des migrants dans ses rêves, a, à peine bronché lorsque ses deux copains du même Mouvement flamand ont quitté le parti. Il n’a pas démissionné, il n’a pas protesté, il n’a fait que miauler. Des problèmes de cœur déchiré a-t-il exprimé. Même si on nous fait croire que deux autres cadres du parti – Sander Loones et Matthias Diependaele – reprendront le flambeau, il est clair que la N-VA ne peut plus résister au pouvoir. Et il envoie un message clair au MR : soyez encore nos Francophones de service en 2019.
Même Geert Bourgeois, co-fondateur du parti et ministre-président de la Flandre se rend compte que gérer un pouvoir capitaliste n’est pas facilement compatible avec un idéal indépendantiste. Et il le dit dans le journal La Libre Belgique de mercredi dernier : « … le terme indépendance qui se trouve dans nos statuts, ce n’est pas l’indépendance au sens du 19e siècle. Une nation moderne fait partie d’un plus grand ensemble. En Belgique, il s’agit donc d’aller vers un confédéralisme avec des États fédérés ayant une capitale partagée et un maximum d’autonomie et de responsabilités ». Le fait est que M. Bourgeois oublie de dire comme le rappelle Bart Maddens, professeur à la KUL et idéologue du séparatisme flamand que dans l’histoire du mouvement flamand, il n’y a eu aucun parti avec autant de moyens financiers, de pouvoir et de personnel. Entre renoncer à ce pouvoir, ses dorures, ses avantages, son argent et garder son idéal indépendantiste quitte à redevenir pauvre et moins en vue, le cœur n’a pas balancé bien longtemps. Au bout de deux ans, le choix a été clair même si on fait semblant que non.
Une fois renvoyé dans l’opposition avec moins d’argent, de visibilité et de pouvoir, la N-VA retrouvera ses accents très flamingants si d’ici là, elle ne devient pas un parti très institutionnalisé comme les autres. Ce qui sera difficile puisque ne faisant pas partie des piliers traditionnels de la politique belge – catholique, socialiste, chrétien – les autres partis flamands n’attendent que sa chute.
Ainsi fonctionne un pouvoir capitaliste quand on adhère à ses principes : une fois qu’on a goûté à l’argent, on en redemande, et peu de partis ont le courage de choisir l’opposition comme voie politique tellement le système a rendu le pouvoir irrésistible dans notre société.