Le passé sert de boussole à une nation. L’histoire qui le constitue doit servir de soubassement pour la construction d’une conscience nécessaire à l’édification d’un pays.
En République Démocratique du Congo, l’histoire malheureuse née avec Léopold II bégaye à intervalles réguliers. Le souverain belge qui a fait du Congo une propriété personnelle au prix de massacres et de destructions de cultures séculaires semble avoir imprimé sur les dirigeants la malédiction de l’appropriation privée du pays. La mort de Patrice Emery Lumumba a été un tournant historiquement malheureux. Son entreprise visant à imprimer une conscience panafricaine, nationaliste et d’intégrité dans chaque Congolais n’a pu se réaliser. Depuis, la RDC accumule les dirigeants sans conscience politique qui considèrent le pays et ses richesses comme appartenant à leurs familles, clans et à eux-mêmes.
Même si cette entreprise lumumbiste n’a pu être menée à bien, le peuple congolais et les peuples africains ne sont pas dupes. Ils voient aussi bien dans la diaspora que dans le pays, ce qui se trame dans les têtes de tous bords politiques. Le clan Kabila a un bilan clairement négatif à la tête du pays. La RDC est sans doute l’un des pays africains où la fracture sociale est la plus grande, où la sécurité est un voeu pieux, surtout à l’est du pays, et où la corruption est érigée en mode de fonctionnement. Tous les témoignages en attestent : il suffit d’arriver à l’aéroport de Ndjili et la corruption vous souhaitera la bienvenue. Néanmoins, il serait tout aussi naïf et faux de croire que l’opposition représente la panacée. Elle est menée par un vieil homme de 83 ans, Étienne Tshisekedi, qui, depuis sa participation au renversement du gouvernement de Lumumba est ancrée dans la politique congolaise depuis plus de 50 ans maintenant. Un vieil opposant qui n’arrive pas à faire émerger au sein de son propre parti une nouvelle génération de dirigeants. La seule option se dessinant, c’est son remplacement par son fils, Félix. Le même reproche fait à Kabila. À côté de lui, beaucoup d’opportunistes qui, n’ont jamais convaincu par la mise en place d’un programme politique cohérent à même de donner enfin à ce pays la grandeur qu’il mérite. Tous ne rêvent que d’une chose : devenir président de la république et faire comme Mobutu, c’est-à-dire occuper la place le plus longtemps possible sans avoir réellement une vision à long terme. C’est pourquoi tous portent en eux le péché originel mobutiste : compter sur l’extérieur pour arriver au pouvoir et le gérer pour soi aussi longtemps que possible.
Cette conception de la politique transforme le landerneau politique congolais en bac à sable dans lequel jouent des enfants. L’aliénation coloniale et l’acceptation du paternalisme qui vont de pair persistent dans les têtes. C’est dans cette perspective qu’on peut voir surgir au sein de cette opposition, qu’elle soit dans le pays ou dans la diaspora, un phénomène assez inquiétant : la présence de mobutistes déguisés ou reconvertis en démocrates. Originellement, le mobutisme est incompatible avec les principes qui visent à libérer un peuple. Il porte dans ses gênes la corruption, le népotisme, le non-respect de la vie de la personne humaine, la privatisation des moyens de l’État et leur accaparement par un clan. Il est possible que certains se soient convertis à la démocratie même si je ne crois pas trop aux conversions intéressées qui ne passent pas par un repentir véritable. Ces mobutistes ne jurent que par un rêve : le match retour contre le clan Kabila. Ils veulent absolument prendre leur revanche mais ils n’osent pas l’avouer car ils savent pertinemment que le peuple, alerte, ne le leur pardonnera pas. Ils n’ont jamais digéré la perte de leurs privilèges. Ils étaient riches, les voici subitement pauvres, forcés de travailler comme la grande masse. Leurs enfants étaient dans les plus beaux internats en Europe, ils venaient en vacances dépenser des dollars. Les voici contraints à vivre en Europe et à bénéficier du minimum offert par la sécurité sociale. Alors, ils rêvent de leur retour au pouvoir, quitte à s’allier une fois encore aux parrains d’hier qui ont fait tomber leurs parents.
Les Kabilistes et les Mobutistes se ressemblent beaucoup mais ils se haïssent. Ils ont été faits dans le même moule : l’aliénation et l’absence de conscience et de vision pour leur pays.
La seule solution reste l’insurrection politique populaire menée par des citoyens formés – il y en a – qui n’ont jamais trempé dans la boue de l’un ou l’autre camp. Des citoyens appuyés par des mouvements populaires et citoyens qui ne sont ni infiltrés par les mobutistes, ni créés par les puissances étrangères, et il y en a aussi sur le terrain.
Le parrainage étranger ne mène qu’à un résultat : la chute lamentable. Joseph Kabila est en train de le comprendre : ceux qui l’ont installé au pouvoir mobilisent déjà les ressources pour le faire tomber.