Le 31 octobre dernier, l’autocrate Blaise Compaoré cavalait toute honte bue vers la Côte-d’Ivoire grâce à l’exfiltration de son parrain français. Une Côte-d’Ivoire où il a installé au pouvoir son ami de longue date Alassane Ouattara à coups de canons de chars français. Arrivé à Yamoussoukro, ville natale de Félix Houphouët-Boigny, premier président-dictateur de Côte-d’Ivoire qui l’encouragea à assassiner Thomas Sankara, son meilleur ami et frère d’armes, le serpent froid qu’il était, entama une campagne médiatique de dédouanement. Il accusa tour à tour l’opposition politique et une partie de l’armée d’avoir comploté contre lui pour le faire tomber. Il se plongea ainsi dans une sorte de déni des responsabilités qui menèrent à sa chute. Cependant, dans cette entreprise de mauvaise foi caractérisée, le natif de Ziniaré eut un espace de lucidité. Il avait ainsi affirmé aux confrères de Jeune Afrique qui avaient leurs entrées au Palais présidentiel de Kossyam : « Je suis conscient du fait qu’après trente ans de vie politique harassante, j’ai fatigué… »
Cette phrase et ce moment de lucidité aussi faible soit-il, doivent servir de leçon aux pouvoirs qui souhaitent s’éterniser à la tête des États. L’exemple le plus proche et le plus patent à travers lequel cette phrase doit être méditée, est celui du Togo où les dirigeants crient déjà à une différence de situation avec le Burkina-Faso.
L’alternance, principe de respiration démocratique, n’a jamais eu lieu au Togo depuis 48 ans
Il n’est pas étonnant que le pouvoir togolais ait été avec le pouvoir ivoirien l’un des plus ébranlés par la chute du régime de Blaise Compaoré. Les similitudes sont évidentes : la longévité et la réputation d’avoir des bases inébranlables. Il ne sert à rien de jouer à la duplicité plus longtemps : quel que soit le génie d’un pouvoir, sa capacité à élever le niveau de vie de ses citoyens et à donner du bonheur à son pays, il finit par lasser les citoyens. Et on sait qu’on est loin de cette situation au Togo où les conditions de vie des citoyens sont encore harassantes. Les différentes grèves sociales pour ne citer qu’elles, le prouvent à suffisance. Les dirigeants togolais, à commencer par le Président Faure Gnassingbé doivent méditer profondément la phrase de Blaise Compaoré. Ils doivent faire recours à leur conscience historique pour se souvenir que même les plus grands, qui ont sauvé et redressé leurs peuples, ont été balayés. Même Charles De Gaulle et Winston Churchill qui ont pourtant sorti leurs peuples de la plus atroce des souffrances, pour les conduire vers le bien-être économique et social ont été remerciés. D’autres géants Africains plus proches du Togo ont accepté le jeu de l’alternance et sont partis, John Jerry Rawlings du Ghana en est un parfait exemple. Toute société, dans tous les domaines, a besoin de changement. Être un des rares pays au monde à donner aux chefs d’État en place une latitude éternelle à se représenter est une calamité politique et démocratique. D’autant plus que la constitution togolaise actuelle qui consacre cet état de fait est sujette à critique. Adoptée par une assemblée de parlementaires godillots, elle n’a pas reçu l’onction populaire : le référendum. Cette Constitution « toilettée » en 2002 – selon l’expression consacrée par le président du Parlement de l’époque, Fambaré Ouattara Natchaba – est venue remplacée celle adoptée par le peuple à 99,92% en 1992. On ne peut revendiquer sa légitimité électorale d’une Constitution faussée.
Il ne sert à rien d’utiliser des artifices pour se maintenir au pouvoir et créer les conditions d’une atmosphère politique irrespirable. L’un des artifices consiste aujourd’hui à mettre en avant les réalisations en termes d’infrastructures, notamment routières, du pouvoir. Ainsi, j’entends certains affirmer que le pouvoir travaille. Certes, mais je me pose une question : n’est-ce pas là la tâche qui lui est normalement dévolue depuis 48 ans ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à ce goulot d’étranglement ? Un autre pouvoir, d’autres dirigeants quels qu’ils soient n’auraient-ils pas fait mieux ? Pourquoi devons-nous être astreints à être si peu ambitieux et à ne pas regarder plus loin que le bout de notre nez ? Avons-nous été enfoncés dans une misère intellectuelle telle qu’à la moindre réalisation du pouvoir certains pensent que c’est le fruit de l’excellence politique ?
Tous les jeunes qui, comme moi, sont nés et ont grandi au Togo n’ont connu qu’un seul régime politique au pouvoir : celui du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais, ancien parti unique) devenu ensuite UNIR (Union pour la République). Ils n’ont connu aussi qu’un corps dirigeant : celui d’un homme et de son fils même si ce dernier a inlassablement répété que c’était à son corps défendant. « Lui c’est lui, moi c’est moi » avait-il notamment affirmé.
Les temps ne sont plus à une endurance « pouvoiriste » illégitime
Après dix années tumultueuses, il est certain qu’une grande partie de la population aspire à d’autres réalités. L’opposition n’est ni une mort physique, ni une mort politique. Si certains Togolais ont pu y ronger leur frein, d’autres qui savourent indéfiniment le jus du pouvoir le peuvent aussi.
Le temps des « Honorables » et des « Excellences » pompeux est en train de passer de vie à trépas. La jeunesse actuelle est comme un chien affamé de liberté. Elle n’attend pas qu’on lui donne l’ordre d’aboyer. Elle mord sans se poser de questions. Que ceux qui ont des oreilles pour écouter, écoutent.