Plus de quatre années se sont écoulées depuis que l’antiracisme vint presque me chercher, sortant de mon engagement estudiantin, exaspéré par les stéréotypes et les préjugés négatifs portés sur mon état d’Africain. À l’époque, j’embrassai presque naïvement sur la bouche cet antiracisme de la société civile qui, subtilement, m’offrit un visage rayonnant, mais qui en réalité était déjà pourri jusqu’à la moelle. Exaspéré par ces remarques, ces rires étouffés, ces regards en biais qui préjugeaient de l’infériorité de mon intelligence et de la sauvagerie de mon accent dans cette université bourgeoise que je fréquentai, j’embrassai goulûment à mon corps défendant un antiracisme rongé par une maladie incurable ; la maladie de l’instrumentalisation et de la manipulation comme fonds de commerce. Un antiracisme qui se vidait de son sang, et qui avait besoin de sucer le sang de quelques jeunots pour pouvoir maintenir aux yeux de la société l’illusion d’une vie dont la décadence avait commencé il y a longtemps.
Hier, 21 mars : journée internationale de lutte contre le racisme. Que reste-t-il de l’antiracisme belge autonome incarné par la société civile ? Rien ou presque. Plongé dans une agonie profonde, il végète. Pendant que dans certains hauts ministères, on s’ingénie à garder en vie ce moribond au prix d’accords politiques aux contours sinueux, dans certaines associations officieusement réduites au silence ou mises sous éteignoir pour leur gestion catastrophique, on s’occupe comme on peut… Enfin « s’occuper », c’est un bien grand mot. On fait de l’occupationnel en attendant son salaire de la fin du mois, et surtout les élections de 2014. Et on prie pour que le parti qui peut assurer son salaire, et l’influence de sa structure dans la société gagne les élections ou soit dans la majorité régionale. Les subsides publics, même immérités seront ainsi assurés. Et le système continuera ainsi de tourner sans changement structurel majeur.
C’est pourquoi, je m’adresse à toi cher ami(e), jeune qui, comme moi, professionnellement ou bénévolement, désire par conviction s’engager dans cette mare visqueuse. Elle peut se révéler très accueillante et tout d’un coup t’avaler sans crier gare. J’en fis l’expérience bénévolement d’abord, puis professionnellement ensuite. Sans jamais vendre mon âme au diable, je m’en suis tiré avec quelques égratignures qui m’ont rendu plus fort, mais m’ont aussi donné quelques leçons. Des leçons que je t’énumère ici et qui, je l’espère, te seront profitables si ta foi antiraciste reste inébranlable après la lecture de cet article.
1/ Ne perds jamais de vue que tu vis dans un pays profondément particratique. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les plus éminents politologues de ce pays. L’antiracisme a beau crier son indépendance, sa probité et son autonomie, il reste soumis à cette réalité belge inébranlable. Sois donc prêt à avaler parfois des couleuvres en fonction du parti sous l’égide duquel évolue la structure dans laquelle tu milites.
2/ Relativise ton idéal antiraciste : certaines structures antiracistes peuvent elles-mêmes produire du racisme et de la discrimination en fonction d’intérêts individuels ou de clans.
Comme dans beaucoup de secteurs, des agendas individuels ou partisans peuvent créer sous ton nez des situations ubuesques au mépris de la douleur des victimes de racisme. Des structures visant à lutter contre le racisme et les discriminations se transforment elles-mêmes en producteurs de racisme en fonction d’intérêts individuels ou de communauté. Ce n’est pas parce qu’on est antiraciste qu’on n’est pas cynique. L’argent et la notoriété font très vite de l’ombre à la conviction… même antiraciste.
3/ Garde en toutes circonstances la droiture de ton engagement à moins que tu veuilles participer au festin.
Dans cette société matérialiste où l’argent est souvent sur le trône des considérations, l’antiracisme associatif a parfois lui aussi succombé au charme des espèces sonnantes et trébuchantes, loin de ses missions premières. Tu seras peut-être grisé par des propositions mirobolantes, des apparences clinquantes, très loin de la pureté de ton engagement. Accroches-toi aux objectifs de ton engagement sans céder, à moins que les scrupules ne fassent pas partie de ton vocabulaire. Alors dans ce cas, vas-y, fonce, régales-toi, mais sache qu’ici-bas, rien n’est gratuit, on te demandera tôt ou tard des comptes.
4/ Fuis le communautarisme manipulateur comme une peste.
En effet, on voudra t’entraîner dans les abysses de l’instrumentalisation et de la manipulation de communautés à des fins inavouables. Tu peux travailler dans l’antiracisme pour une communauté quelle qu’elle soit, ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, philosophique ou même politique. Mais méfies-toi de ceux qui utilisent ta couleur de peau, ta religion, ta langue, tes convictions politiques ou philosophiques pour instrumentaliser ou manipuler une communauté, et t’éloigner ainsi de tes convictions de base. Quand tu les vois arriver, sauves-toi au plus vite !
5/ Enfin, où que tu sois, quoi que tu fasses, n’oublies jamais l’essentiel : tu es humain d’abord, antiraciste ensuite.
Tu peux quitter une structure, une association, un mouvement, un travail, renoncer à des fonctions, perdre des privilèges, mais tu ne dois jamais perdre trois choses : ta dignité, tes convictions, et enfin ton humanité.
Pour finir sur un point important et positif, sache que l’antiracisme associatif en Belgique regorge aussi et heureusement de structures et de ressources humaines honnêtes et précieuses. Mais ce ne sont malheureusement pas ces voix qui dominent. Cherche bien, tu les trouveras.
Bonne merde !