La France reconnaît enfin la perversité du système colonial en Algérie. Quid de la Belgique ?

François Hollande lors de son discours face aux parlementaires algériens
François Hollande lors de son discours face aux parlementaires algériens

“Repentance”… le mot qui donne de l’urticaire aux défenseurs de l’honneur de “la civilisation blanche” et qui trouble leur sommeil. Hier, j’ai suivi avec intérêt le déplacement de François Hollande en Algérie. J’ai suivi avec le même intérêt les préparatifs de ce voyage, notamment la préparation médiatique qui s’est faite sur le discours mémoriel qu’allait tenir le président français vis-à-vis des Algériens.

D’emblée, dès le début de la semaine, le ton a été donné : François Hollande comme Nicolas Sarkozy en son temps n’apporterait pas aux Algériens et aux Africains une quelconque repentance ou un hypothétique pardon. Par contre, contrairement à celui qui considérait que “l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire”, il leur apportait dans sa besace la reconnaissance de la perversité du système colonial, les crimes de ce système, la vérité et la transparence sur cette période. Pas d’excuses, mais une reconnaissance et une transparence : venant de la France si fière d’elle-même et de son passé colonial, il faut admettre que le pas en avant est significatif.

Il faut dire que le courant bonapartiste était monté au créneau pour prévenir le président de la république. Pas d’excuses ! Dans l’intelligentsia française, Napoléon, l’empereur va-t-en-guerre qui rétablit l’esclavage pour la gloire de la France après que celui-ci fut aboli à Saint-Domingue a beaucoup d’admirateurs et de défenseurs. Ces bonapartistes qui se réclament souvent de De Gaulle et qui, tels des morts de faim, sautent pour protéger en toute occasion cette France expansionniste dont la spécialité fut de fouler aux pieds les principes de sa propre révolution quand il s’agissait de peuples autres que le peuple français. Alors, François Hollande qui, secrétaire général du Parti Socialiste, exprima dans un livre la nécessité d’excuses vis-à-vis de l’Algérie, modéra son propos. “Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli, encore moins dans le déni. Pendant 132 ans, l’Agérie a été soumise a un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien”, a lancé le président devant les parlementaires algériens. Et c’est le fils d’un ancien partisan de l’Algérie française et de l’OAS, organisation d’extrême-droite qui était favorable à la continuation de la colonisation qui parle. Quelle ironie de l’histoire ! Quels que soient les commentaires, désormais, un pas significatif a été franchi.

En regardant toute cette agitation, pensif, je me posai la question sur mon pays, la Belgique, celle qui se gausse de son caractère de pionnier en matière de loi de compétence universelle. Celle qui est citée en exemple pour être toujours en avance en matière de réformes sociétales. Cette Belgique si ouverte est pourtant ringarde sur le plan de son travail mémoriel vis-à-vis du système colonial qu’elle a bâti au Congo, au Rwanda et au Burundi. Cette Belgique – surtout la partie francophone du pays – si prompte à s’aligner sur les positions françaises visant à éluder le passé colonial a un problème avec elle-même. Elle n’arrive pas à se regarder dans le miroir face aux évènements dont elle a été porteur pendant près d’un siècle : les mains coupées, les travaux forcés, la ségrégation raciale, les massacres, les meurtres, la destruction de cultures et d’arts séculaires, parfois même millénaires, les assassinats politiques, la différenciation entre Hutu et Tutsi qui engendra la haine qu’on connaît,  j’en passe et des meilleures.

Dans la société belge, mais aussi dans sa classe politique, des léopoldiens existent. A droite, au centre comme à gauche, ils refusent que l’Etat belge reconnaisse les torts causés par ce système inhumain. Ces grands “démocrates et humanistes” qui n’ont que les principes universels des droits de l’homme à la bouche, du haut de leur complexe de supériorité, héritage de la propagande coloniale, ont du mal à encaisser le fait que le grand projet colonial de Léopold II soit critiqué officiellement par son propre pays.

Cependant, toutes ces personnes dans lesquelles la propagande coloniale a instillé ce complexe de supériorité morbide,  n’ont toujours pas compris qu’ils ne vivent plus dans la même Belgique que celle de l’époque coloniale où cette dernière était presque entièrement blanche. La Belgique est désormais diverse et pas n’importe comment. L’apport de l’Afrique à sa diversité démographique n’est plus celles des générations de nos grands parents et de nos parents qui fermaient leurs gueules pour ne pas se faire remarquer. Sa nouvelle diversité est faite des petits-fils et arrières petits-fils de ceux qui étaient corvéables à merci pendant la colonisation, de ceux qui furent mutilés et dont les souffrances révoltent leurs descendants plus encore que les concernés eux-mêmes. Ils n’ont pas compris que désormais, ces descendants sont Belges, et mettent les actes du passé belge en Afrique à l’épreuve des principes humains qu’elle dit défendre continuellement. Cette jeunesse aux racines belges et africaines veut jouir de sa citoyenneté pleine et entière en Belgique. Et dans le mot “citoyenneté”, elle met aussi la reconnaissance d’une histoire partagée, douloureuse pour elle, et dont la catharsis ne peut être faite qu’en posant un acte à la hauteur de celui que François Hollande a posé hier à Alger.

La Belgique osera-t-elle enfin assumer ses responsabilités face à l’histoire ? Rien n’est moins sûr…