Aujourd’hui, le journal belge Le Soir nous apprend qu’une plainte a été déposée au tribunal de première instance de Bruxelles par les descendants de Patrice Lumumba: celui que le journaliste Alexandre Adler qualifiait à juste titre de véritable prédécesseur de Nelson Mandela. Un dirigeant ayant la vision d’une Afrique détribalisée, réformée et en mouvement. Collette Braeckman, journaliste spécialiste du Congo et de l’Afrique au Soir nous apprend ceci dans ses Carnets devenus célèbres:
“Même 51 ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, le devoir de mémoire demeure d’actualité aux yeux de François, Patrice et Roland, les fils du Premier Ministre congolais et de sa veuve, leur exigence de justice demeure inassouvie. C’est pourquoi François Lumumba a fait le voyage depuis Kinshasa pour déposer, auprès du Tribunal de première instance de Bruxelles, une plainte en bonne et due forme. L’aîné des fils avait assisté, en 2001, aux travaux de la commission parlementaire qui avait examiné le rôle de la Belgique. Il estime aujourd’hui qu’il faut « aller plus loin que la reconnaissance d’une responsabilité morale. Nous réclamons, entre autres, que toutes les archives de l’Etat belge soient ouvertes, nous voulons aller au-delà des présomptions… Il faut tirer de l’établissement des faits toutes les conclusions, d’ordre pénal et juridique…»
Pour étayer la mise en cause de l’Etat belge et de divers intervenants, dont une dizaine sont toujours vivants à l’heure actuelle, la famille Lumumba souligne qu’à l’époque la Belgique avait débloqué 250 millions de FB (6 millions d d’euros) au titre de fonds secrets, pour financer les menées qui allaient conduire à l’élimination physique du Premier Ministre et de ses compagnons d’infortune Maurice M’Polo et Joseph Okito, le 17 janvier 1961. « En plus de l’argent, la Belgique», souligne François Lumumba, « avait mis des moyens logistiques à la disposition des adversaires du Premier Ministre. Cette action était donc préméditée, agencée, calculée, elle visait l’élimination politique et physique de Lumumba».
La plainte qui sera déposée cette semaine entre les mains d’un juge d’instruction bruxellois détaillera avec quelle cruauté les trois hommes furent mis à mort, après sévices et tortures et comment par la suite le corps du Premier Ministre fut enterré, déterré, découpé en morceaux, acidifié puis brûlé. Elle rappellera aussi le préjudice infligé à la famille, mais, plus largement, au processus démocratique congolais qui fut brutalement stoppé tandis que le pays plongeait dans une guerre civile qui fit un million de morts et s’engageait dans une crise qui allait se prolonger durant des décennies.
Aujourd’hui, la famille de Patrice Lumumba ne veut plus s’en tenir à des positions de principe. Son avocat, Me Christophe Marchand refuse de citer des noms, invoquant la présomption d’innocence, mais il espère bien que la justice fera enfin toute la lumière afin, dit-il, « que l’impunité ne l’emporte pas… »
Si la famille Lumumba veut porter l’affaire devant les tribunaux, c’est aussi parce qu’elle a constaté que la « Fondation Patrice Lumumba » dont la mise sur pied avait été décidée à l’issue de la Commission d’enquète parlementaire, est restée lettre morte, paralysée par les litiges à propos de son objet et de sa gestion. Pour l’historien Ludo De Witte, cette Fondation, «était surtout une façon d’impliquer la famille, de l’inciter à se taire en évitant ainsi de payer une réparation officielle, non seulement aux héritiers de Lumumba, mais au peuple congolais lui-même… »”
Pendant près d’un demi-siècle donc, on a voulu étouffer cette injustice vis-à-vis de l’Afrique entière à coup de millions. C’est le destin de tout un pays et même de tout un continent qui a basculé par cet assassinat; comme à chaque fois qu’un leader visionnaire panafricain, dont la politique offrait de belles perspectives à l’Afrique a été tué.
Et si d’aventure le fantôme du Premier Ministre me lit et m’écoute, je lui demande de ne jamais lâcher ses bourreaux qui vivent encore. Qu’il les poursuive jusque dans leurs tombes.