Confidences du député-bledard : une pensée pour les Listes Destexhe…

En posant mon derrière sur les bancs de l’auguste assemblée bruxelloise, dans le brouhaha des rires et des caméras, je jetai un regard circulaire autour de moi. Verbe haut, félicitations, humour, enthousiasme, tous les ingrédients étaient réunis pour une rentrée chatoyante. Je suis un grand fan de la beauté simple et sobre. Mais quand cette beauté s’articule avec une multiplicité de couleurs, elle m’est tout simplement irrésistible. Et rien à dire, elle était belle cette assemblée. À la multiplicité des idées, s’ajoutait la multiplicité des couleurs et des styles. Bruxelles somme toute.
Ma première pensée en m’asseyant fut pour ce militant des Listes Destexhe, rencontré en pleine campagne électorale sous la pluie au marché de Jette. Ce dimanche-là, il pleuvinait, de cette pluie sournoise qui vous pénètre tout le corps. Le sol était gras, le ciel si gris et mon humeur exécrable… J’avais le choix : rester chez moi et me remonter le moral en écoutant les vers mélancoliques de Jacques Brel ou aller convaincre sous la pluie. Je redressai la tête et vit l’exemplaire du journal Le Soir que j’avais placé depuis des jours au chevet de mon lit : les visages rayonnants de Zakia et Jean-Marc me fixaient. En dessous, le sondage qui donnait Écolo premier dans la capitale. Placer l’écologie politique en tête, mon obsession depuis des mois… Je m’arrachai de mon lit et une heure plus tard me retrouvai avec mes ami.e.s politiques au milieu de citoyen.ne.s dont l’obsession immédiate était de terminer leurs courses et d’échapper à la pluie. J’étais sur le point d’abandonner une heure après mon arrivée. Je voulus tenter d’en convaincre un dernier. Mon regard accrocha celui d’un homme. Taille moyenne, crâne rasé, regard dur, démarche décidée. L’alarme de survie s’alluma en moi : « Laisse-le passer ». Mais c’était trop tentant. C’est avec lui que je voulais finir en beauté cette journée maussade. Je déroule mon laïus de militant. Il m’écoute avec attention. À la fin, sa première réponse fut : « J’ai une idole en politique : Destexhe ». La théorie du grand remplacement à Bruxelles me fut expliquée en long et en large. Musulman.e.s, Noir.e.s, Arabes, Roms, en prirent pour leur grade. Son monde à lui, celui qui a toujours connu le même ordre, les mêmes hiérarchies s’effondrait. Une profonde tristesse mêlée à une sourde colère se lisait sur son visage. Je lui rappelai qu’il avait un Noir en face de lui. Oh il m’aimait bien en tant que Noir. Pour lui, j’étais bien éduqué, poli, calme. Je me tenais bien et en plus je parlais bien français. Je faisais partie selon lui de la minorité qui serait tolérée si les Listes Destexhe arrivaient au pouvoir. Au lieu de lui en vouloir, je fus triste pour lui. Après avoir regardé l’assemblée, les député.e.s de mon groupe, j’eus une pensée pour ce Monsieur qui me quitta en me disant qu’il regrettait de ne pas pouvoir voter pour moi. En regardant droit dans les yeux cette assemblée, jeune, cosmopolite, multiculturelle, je me souvins de mes derniers mots en serrant la main du Monsieur. Des mots de l’autrice franco-camerounaise Léonora Miano, prononcés dans un débat face à la polémiste Élisabeth Lévy qui tenait les mêmes propos : « Vous parlez de la disparition du monde connu. On ne meurt pas de la disparition du monde connu. On s’adapte, on évolue. »