Demande d’interpellation du Député Kalvin SOIRESSE NJALL à Madame Caroline Désir, Ministre de l’Éducation concernant la place accordée aux pédagogies actives dans le nouveau tronc commun en tant qu’outils d’amélioration du niveau de notre enseignement.
Madame la Ministre,
Il y a quelques semaines, les conclusions d’une étude menée par l’ancien recteur de l’Université Saint-Louis, Jean-Paul Lambert, publiée dans le journal Le Soir, rendait des conclusions fort instructives quant à l’état actuel de notre enseignement. Cette étude qui a comparé 28 systèmes européens est une analyse de fond sur les principaux problèmes auxquels est confronté notre système éducatif. En Fédération-Wallonie Bruxelles, nous appartenons à un modèle qui est champion hors-catégorie du redoublement, qui a un niveau moyen des élèves très faible et une part des élèves faibles très élevée. L’une des principales conclusions les plus alarmantes est que notre système éducatif appartient à un modèle qui a une forte capacité à laisser les élèves sur le bord de la touche. Face à ces constats, les inégalités ne peuvent que s’accroître, tant entre les élèves en fonction de leurs origines sociales et culturelles qu’entre les écoles en fonction des moyens dont elles disposent.
L’étude du recteur Jean-Paul Lambert a également le mérite de pointer le paradoxe principal de notre enseignement : les investissements ne cessent d’augmenter dans l’enseignement. En termes de proportions budgétaires, la Fédération Wallonie-Bruxelles fait partie des entités qui investissent le plus dans l’enseignement pour un résultat très peu performant. L’auteur de l’étude en arrive à une conclusion que les écologistes partagent depuis toujours : nous devons profondément changer de culture pour rendre notre enseignement plus équitable. C’est à ce prix que nous sortirons notre école d’une reproduction sociale qui aggrave les fractures entre élèves mais aussi entre écoles en fonction de leurs origines géographiques. Notre école doit progressivement devenir le lieu où tous nos enfants reçoivent les mêmes chances afin que les moyens financiers qui sont investis puissent permettre d’obtenir des résultats à la hauteur des investissements que toute la société y met. Ces résultats ne doivent pas satisfaire seulement une partie de la population : augmenter la part des élèves dont le niveau est très fort tout en voyant augmenter également la part des élèves dont le niveau est très faible serait un échec. Le pacte d’excellence s’attelle à élever le niveau général en s’inspirant des méthodes utilisées dans les systèmes les plus efficaces et plus équitables à travers le rallongement du tronc commun et la réduction du recours au redoublement. Les différentes pratiques liées aux méthodes de différenciation dans le fondamental sont positives. Toutefois, si ces mesures sont encourageantes, il reste que dans la relation de l’enseignant à l’enseigné ainsi que dans l’épanouissement de l’élève, la question des pédagogies utilisées est essentielle. Si les solutions apportées par le pacte vont permettre d’améliorer le niveau moyen de tout.e.s nos élèves, les écologistes restent convaincus que la promotion des pédagogies actives ou alternatives doit constituer un élément important dans cette recherche d’efficacité, de réussite et d’épanouissement. L’entrée dans l’apprentissage est fondamental pour arriver à ce résultat. Pour ce faire, l’école doit donner envie. Je citerai Barbara Trachte qui a porté avec constance cette ligne des écologistes ici pendant des années : “J’ai un rêve. Celui d’une école qui enthousiasme, émerveille et donne l’envie d’apprendre à nos enfants.” L’apprentissage lié à l’action facilite beaucoup plus l’entrée dans l’apprentissage pour des élèves en difficultés sociales ou en manque de confiance. Ces pratiques pédagogiques nouvelles sont essentielles pour toutes les écoles mais surtout pour les élèves des écoles défavorisées ou dites difficiles. C’est au sein de ces écoles où l’on retrouve les catégories sociales les plus pauvres que le sens de l’enseignement est le plus questionné par les enfants.
Les pédagogies traditionnelles ont leurs vertus et elles conviennent sans doute à une partie des élèves qui peuvent s’adapter au rythme général d’une classe. Il faut d’ailleurs se poser la question de l’influence positive des pédagogies actives sur l’évolution des pédagogies traditionnelles. D’autres élèves ou enfants souffrent d’un manque de confiance criant, ont besoin de tâtonner de se chercher, d’être mis en action en fonction de leur rythme de travail. Ils ont besoin d’être mis au travail en fonction du type d’intelligence qui les met en confiance avant de pouvoir s’engager dans le développement et l’épanouissement à travers les autres intelligences. Ceux-là ne peuvent pas forcément réussir et s’épanouir uniquement avec des pédagogies traditionnelles. Si l’élève est au centre des apprentissages dans les pédagogies actives, le rôle de l’enseignant.e est modifié. Il ou elle doit s’adapter à un nouveau paradigme sans y avoir été formé.e. Les pédagogies actives souffrent encore trop de stéréotypes négatifs liés à une image selon laquelle elles seraient l’école du laisser-aller, du laisser-faire où l’encadrement de l’élève est assez peu sérieux. Une telle image négative qui ne permet pas de connaître les réelles vertus des pédagogies actives est aussi liée au manque de formation des enseignant.e.s sur le sujet. Les formations de enseignant.e.s doivent intégrer les dimensions actives de la pédagogie afin de leur fournir beaucoup plus d’outils pour mieux encadrer les enfants quels que soient leurs profils. La ligue de l’enseignement le souligne, l’intérêt mesuré dans le milieu de l’enseignement pour ces pédagogies tient au fait qu’elles ne sont pas suffisamment enseignées aux professeurs durant leur formation . Nous avons besoin dans notre travail sur le devenir de notre éducation, et dans l’évolution du pacte d’excellence d’avoir un discours et une réflexion sur l’apport de ces pédagogies. L’apport dans le dispositif permettant par exemple de lutter contre le décrochage scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles dont les chiffres alarmants montent à 35%. Si comme le souligne le recteur Jean-Paul Lambert, la solution à l’amélioration du niveau d’enseignement doit être le changement de culture, il est donc légitime de questionner les repères culturels développés par cet enseignement auprès des parents. La culture de la réussite parfois au dépend de l’épanouissement de l’enfant, la culture du redoublement, de l’enfant sagement assis à son banc ou qui doit passer tout ou la majorité de son temps d’apprentissage enfermé entre les quatre murs de l’école. Le changement de culture doit nous amener à construire auprès des formateurs-trices, des enseignant.e.s, des parents la conviction que le niveau de notre enseignement ne sera à la hauteur de nos investissements publics que lorsque la nécessité de la réussite scolaire coïncidera avec la nécessité d’épanouissement de l’élève. Dans la plupart des cas, ce sont les élèves épanouis qui réussissent. Et ce sont les élèves ayant réussi dans l’épanouissement qui deviennent des citoyennes et des citoyens ouverts, critiques et constructifs pour la société. Les pédagogies actives doivent contribuer à ce changement de culture. Elles ne doivent pas être perçues comme concurrentes aux pédagogies traditionnelles mais complémentaires. L’Etat se doit de les vulgariser afin qu’elles puissent bénéficier aux populations les plus précarisées car elles contribuent à réduire les inégalités sociales. C’est pour cela Madame la Ministre que je vous questionne aujourd’hui sur leur place dans la réforme du tronc commun.
- Quelle place accordez-vous aux pédagogies actives dans le nouveau tronc commun ? Quelles sont les mesures prises pour qu’elles soient plus présentes dans l’enseignement à ce niveau à côté des pédagogies traditionnelles ?
- Quelles concertations sont mises en place avec les structures formatrices des enseignant.e.s afin que les dimensions actives des pédagogies puissent être de plus en plus intégrées dans leur formation ?
- Certaines écoles comme le Lycée intégral Roger Lallemand à Saint-Gilles intègrent ou mélangent aux pédagogies déjà utilisées des pédagogies actives en respectant les objectifs fixés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans la vision politique qui est la vôtre, ces initiatives doivent-elles être encouragées dans les écoles de la Fédération ?
Je vous remercie pour vos réponses sur ce sujet essentiel au devenir de notre enseignement.