Aujourd’hui, l’Algérie est pour la quatrième fois dirigée par Abdelaziz Bouteflika après des élections dont les résultats étaient connus d’avance. Mais de quel « Boutef »[1] s’agit-il ? Du jeune fringant diplomate ayant œuvré pour le compte de son pays ? Non, d’un vieillard sénile qui a eu toutes les peines du monde à prêter serment. Partout dans le monde, il est accablé comme étant le seul responsable, vieillard qui s’accroche au pouvoir. Mais ne devrait-on pas plutôt se poser les questions suivantes ? A t-il vraiment le choix face au système FLN qui l’a porté au pouvoir ? Le FLN n’a-t-il pas dans ses chromosomes les germes de la misère algérienne ?
Une transition historique ratée : soubassement d’une démocratie de façade
FLN ! Trois lettres qui ont durant les années 1950 et 1960 longtemps sonné comme le coup de semonce contre le colonialisme. Trois lettres qui ont incarné un grand idéal de liberté. Trois lettres qui, malheureusement, sont devenus le symbole de la souffrance et de la torture subies par le peuple algérien depuis l’indépendance en 1962. Trois lettres qui ont embrigadé l’Algérie dans un système militaro-politique qui tire ses sources de l’échec d’une transition. Celle qui devait mener ce mouvement de libération vers un mouvement politique démocratique indépendant, libéré de ses liens avec l’armée et sensé faire le bonheur des Algériens sur le plan du mieux-vivre. De l’autre côté, les militaires qui ont lutté armes à la main pour libérer l’Algérie étaient censés bâtir une armée solide sur les acquis de la victoire militaire contre la France. Une armée capable de défendre la souveraineté de la nation.
Malheureusement, les mésententes entre les résistants politiques et les résistants militaires à la colonisation française dès l’indépendance ont conduit le pays dans les abîmes où on le retrouve aujourd’hui. Les militaires n’ont jamais été rompus à l’art de la politique. Celle qui requiert de la négociation, de la patience, celle de la stratégie verbale, celle qui vise à convaincre par les mots, quel que soit le temps que cet exercice doit prendre. Pour eux, les disputes politiques étaient la preuve que les hommes politiques étaient incapables de gérer un pays. Ils prirent les choses en main en renversant le président Ahmed Ben Bella le 19 juin 1965. Les choses se sont-ils améliorés depuis lors ? Que du contraire ! Comme le souligne Nadia Agsous, journaliste et écrivaine algérienne, « Les manipulations politiques, la corruption (“la tchipa”), le clientélisme qui a contribué à enrichir un petit nombre de privilégiés, la médiocrité, la clochardisation, le mépris, le paternalisme, le nationalisme exacerbé sont légion dans ce pays. Sur le plan socio-économique, le chômage de jeunes et des adultes bat son plein. La misère ne cesse de proliférer. Les esprits sont sclérosés. Les souffrances sont visibles à l’œil nu sur les corps des hommes et des femmes qui donnent l’impression qu’ils/elles avancent à reculons. »[2] Une fois au pouvoir, l’armée a pris goût à ses ors et à ses délices en ne laissant à l’immense majorité du peuple algérien que des miettes.
Lorsqu’elle se fait dépasser en 1988 par une révolte sociale après plusieurs années de dictature militaire, elle tente d’ouvrir le jeu en organisant des élections en à la fin de l’année 1991. Mais elle intervient rapidement pour fermer la fenêtre démocratique qu’elle avait ouverte après la victoire du Front Islamique du Salut (FIS) le 26 décembre 1991. Elle se refait une virginité démocratique lorsque le Groupe Islamique Armé (GIA), bras armé du FIS se lance dans la guérilla en semant la terreur par des massacres odieux. L’armée revient au premier plan donnant l’image du seul rempart pour la liberté des Algériens face au terrorisme, comme au temps de la lutte pour l’indépendance face à la France. Mais elle a retenu la leçon. Il ne faut plus se laisser déborder par des révoltes sociales. Et pour cela, elle s’entend avec les hommes politiques qui n’ont pas la carrure d’hommes d’État pour mettre en place ce que Madjid Benchikh appelle dans son ouvrage Algérie un système politique militarisé, « la démocratie de façade » à partir de 1989. Une démocratie de façade dans laquelle désormais, le système politique présente toutes les apparences d’une démocratie avec des élections, de nombreux partis, syndicats, associations et une presse critique. Mais en réalité, toutes les institutions politiques y compris le président de la république sont contrôlées par la Sécurité Militaire, police secrète qui est le bras politique de l’armée. C’est cette institution qui en réalité désigne le chef de l’Etat avant de le faire adouber par le peuple. Comme l’affirme Madjid Benchikh, « L’incapacité politique et l’entrée des affaires dans les cercles dirigeants exacerbent les contradictions au sein du système. Le consensus entre les principaux membres du Commandement Militaire a souvent permis au système de fonctionner et de survivre. »[3] C’est donc de ce système qui doit perpétuellement trouver le plus petit dénominateur commun pour préserver ses prébendes issues de la corruption et des affaires montées au détriment de l’État algérien, qu’est issu Abdelaziz Bouteflika. Lorsqu’il prend le pouvoir en 1999, le système l’accepte comme le plus petit dénominateur commun permettant de préserver la cohésion au sein de ses membres. Puis il s’est imposé durant 15 ans. À la veille des élections, les fortes dissensions au sein du système FLN ont empêché son retrait. On a préféré gardé le plus petit dénominateur commun même malade et peut-être psychiquement incapable d’assumer la fonction. On n’a pas voulu prendre le risque de choisir un successeur dont la nomination aurait conduit à des conflits internes pouvant entraîner de sérieux risques d’implosion du système.
Pour que l’Algérie sorte de cet état de délabrement avancé, il faut être réaliste et tenir compte du poids de l’armée. Il faut réformer l’armée en lui assurant la conservation d’un poids réel sur le plan national, mais en dissolvant la Sécurité militaire. Cette dissolution doit être le principal élément d’une transition politique devant mener le pays à de vraies institutions démocratiques. Et pour provoquer cette transition et la mener, il faut des hommes d’État capables de se sacrifier pour cette cause. Malheureusement, aujourd’hui, on a beau plisser les yeux, aucun de ces hommes d’envergure n’apparaît à l’horizon.
[1] Surnom que les Algériens donnent à leur président
[2] Nadia Agsous, « Pour une refonte du système politique algérien », http://www.huffingtonpost.fr/nadia-agsous/pour-refonte-systeme-politique-algerien_b_4914446.html
[3] Madjid Benchikh, Algérie un système politique militarisé, Paris, L’Harmattan, 2011
Article publié dans “La Pince”, Périodique d’informations et d’analyses de l’Union des Populations du Cameroun, Sections d’Europe et d’Amérique.