“Emeutes de Matonge” : la nécessité de se poser les bonnes questions

Depuis quelques semaines, les interrogations se font nombreuses sur les manifestations qui ont lieu dans le quartier africain de Bruxelles, Matonge,  suite aux résultats des élections en République Démocratique du Congo. La diaspora congolaise et la très grande majorité des diasporas africaines sont plus favorables à l’opposition et manifestent contre ces résultats dont on peut dire que le caractère biaisé est plus que probable. Mais l’une des caractéristiques importantes de ces manifestations est qu’elles ne rassemblaient pas seulement des Congolais ou des Belges d’origine congolaise. On y retrouvait des personnes originaires de différents pays africains. Ce qui est un phénomène nouveau puisque par le passé, à ces manifestations, on ne retrouvait quasiment que des Congolais. Une lame de fond identitaire et panafricaine, opposée à une certaine forme de néocolonialisme ou perçue comme telle est en train de naître dans les pays européens. Elle ne se limite plus aux discours mais elle se traduit aussi dans les actes. La question ivoirienne sur laquelle je reviendrai plus loin est assez édifiante à ce sujet. Mais malheureusement, comme toujours dans ces circonstances, une construction sociétale de préjugés a été faite autour de ces manifestations par différents acteurs afin de les décrédibiliser et de détourner l’attention de l’opinion publique des vrais enjeux.

Le lien fait entre l’objet des manifestations et le vandalisme : une tentative de décrédibilisation du mouvement de protestation congolais

Pendant plusieurs jours, les médias ont volontairement minimisé voire ignoré l’ampleur que prenait la contestation des résultats de l’élection présidentielle en République Démocratique du Congo. Dans les médias audiovisuels surtout, l’élection ne faisait guère la une, relégué dans les nouvelles en bref ou dans les titres évoqués très loin dans les JT.

Il aura donc fallu que le vandalisme intervienne pour que l’on s’y intéresse et pour que l’on analyse ce phénomène non pas sur la forme du “Pourquoi ?” mais sur la forme du “Comment ?” avec une stigmatisation des Congolais et des Africains en général. Il faut bien bien évidemment condamner fermement ces actes de vandalisme mais une réflexion à ce propos est nécessaire. Le vandalisme dont ont été victimes les boutiques de Matongé n’est pas la réalité du problème. Le vandalisme n’est pas l’apanage des manifestations organisées par les Congolais et les Africains en général. De nombreuses manifestations présentent des risques de violence et de vandalisme. Il suffit de se rappeler des violences ayant suivi les manifestations du mouvement “No border camp” ou encore les émeutes de cette année en Angleterre.

J’ai été sidéré d’entendre les journalistes se focaliser sur des inquiétudes de la police qui a monté en épingle le fait que des jeunes Noirs des “bandes urbaines” se seraient organisés en groupes de casseurs pour attaquer les commerces. La police et les autorités publiques ont ainsi créé volontairement de toutes pièces un argument destiné à semer la panique à Bruxelles et à  justifier le détachement d’un nombre de policiers lourdement équipés deux fois supérieur à celui des manifestants. Cet argument visait également à éluder comme toujours les vraies questions quand il s’agit des problèmes africains dans lesquels les pays européens ont une part de responsabilité. L’exemple de la France avec les pays africains qui forment la Françafrique en est un exemple patent.

Eluder les vraies questions : la politique étrangère européenne et belge construite sur des bases néocoloniales et l’ignorance de la mémoire coloniale

Le lundi 19 décembre 2011, le Ministre-Président de la région bruxelloise Charles Picqué se prononçait sur ces manifestations en ces termes :  “Bruxelles ne peut tolérer de tels incidents violents et répétés pour des événements politiques ayant eu lieu dans un pays étranger”. Cette phrase caractérise à elle toute seule la fausse neutralité de la Belgique dans ces élections et la volonté d’éluder les vraies questions. Elle peut être résumée comme suit : “Ces élections ne nous concernent pas car elles ont lieu à l’étranger. On ne voit pas pourquoi vous manifestez, circulez il n’y a rien à voir !”

Le Ministre-Président a volontairement oublié dans la suite de son discours de se poser la question du “Pourquoi” qui en entraîne d’autres :

– Quelle relation entretient la Belgique avec le pouvoir de Joseph KABILA ?

– Quel est le rôle de l’histoire commune de la Belgique avec le Congo dans le déroulement de ces manifestations ?

– La Belgique a-t-elle fait une introspection historique quant à son rôle de puissance coloniale au Congo ?

– Au vu de cette histoire commune, les liens forts qu’entretiennent encore la diaspora avec le pays d’origine ne sont-ils pas de nature à aviver des tensions en Belgique dès que des soupçons se portent sur le pays ?

A la première question, la réponse est claire : la relation qui se joue entre la Belgique et la RDC est similaire à celle qui se joue entre la France et la Côte-d’Ivoire d’Alassane Ouattara ; une relation de type néo-coloniale où l’ancienne puissance coloniale essaie par tous les moyens de garder une certaine influence. La Belgique  a ceci de particulier qu’elle  préserve également au Congo les intérêts de ses alliés (USA, Grande-Bretagne, France etc.) A travers la répression des manifestants sur son territoire, elle cherche à donner des gages à Joseph KABILA.

Les citoyens qui manifestent sont porteurs d’une histoire coloniale dont les conséquences et les stigmates sont encore présents. Déjà en 1961, le scénario était  déjà conflictuel  entre les citoyens africains et la Belgique : un Premier ministre – Patrice Lumumba – qu’ils ont élu a été débarqué parce que sa tête et ses discours surtout, ne plaisaient pas à la puissance coloniale. Les manifestants dont beaucoup descendent des citoyens lésés des années 1960 ont l’impression de revivre le même cauchemar que leurs aînés même si la comparaison n’est pas tout à fait justifiée. La différence de taille est que cinquante ans après, ces citoyens lésés sont devenus pour la plupart Belges ou vivent sur le territoire belge, ce qui n’était pas le cas à l’époque. L’Etat belge refuse absolument de crever l’abcès historique car il continue la même politique en Afrique qu’en 1960 mais sous une autre forme.

Le passé colonial que la Belgique veut à tout prix cacher et dont elle ne veut absolument pas parler joue encore un rôle non négligeable dans sa politique étrangère actuelle vis-à-vis du Congo et dans la perception que la composante africaine subsaharienne de sa population a de cette politique. Cette population ayant encore des liens très forts avec le pays d’origine, les manifestations avec les risques de dérapage que cela entraîne ne sont pas étonnants.

Enfin, il y aura sans doute un avant et un après conflit ivoirien. Ce conflit où la France s’est mise en scène de façon pitoyable a ravivé en Afrique et chez beaucoup d’Africains le sentiment d’être gouvernés de l’extérieur et que pour arriver à avoir leur destin en main, il faudra se battre. Tant qu’un président sera perçu comme le valet ou le poulain de la soi-disant communauté internationale, il y aura une frange des populations africaines qui le suspectera de servilité vis-à-vis du “Blanc”. Cette frange est majoritaire dans les diasporas africaines. Si la Belgique ne prend pas conscience de cette lame de fond identitaire nationaliste et panafricaine qui se met en place, elle fera face dans l’avenir à des évènements encore plus violents. Si elle en a déjà conscience, elle ferait mieux de résoudre ce problème en regardant véritablement et de façon juste dans son passé. Elle doit également résoudre les problèmes d’inégalités entre ses différentes populations car lors de ces manifestations, plusieurs sentiments d’injustice se collent les uns aux autres et finissent par éclater en violence.

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